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LES RAVAGEURS

çon au sujet de la pousse où elle vient d’éclore. Avant c’est âpre, cela râpe le gosier et agace les mandibules ; après, c’est délicieux.

Émile. — Cependant elle ne fait pas mortifier le rameau sur la paille, comme nous les nèfles ?

Paul. — Non. Dans la grande majorité des cas, les larves sont fort peu industrieuses ; elles mangent en goulues sans songer à rien. Vous comprenez bien que s’adonner à la bombance n’est guère le moyen de se former l’esprit. Il faut donc qu’elles trouvent la pâtée préparée à point, sinon, ne sachant pas la préparer elles-mêmes, elles périraient stupidement de faim. Et qui la prépare, cette pâtée, qui la dispose à point ? C’est la mère, s’il vous plaît, la mère, dont c’est la grande, l’unique préoccupation. Elle se met en recherche de vivres qui ne sont pas sa nourriture, qui même lui répugneraient ; elle abandonne sa part des joies sur les fleurs et au soleil pour se livrer opiniâtrement à des travaux pénibles, sans utilité aucune dans son propre intérêt ; et quand elle a usé ses quelques jours à cette rude besogne, elle s’accroupit dans un coin et meurt contente : la table est mise, les petites larves auront de quoi manger.

Quand, sur une feuille de vigne, le charançon reluit ainsi qu’une pierre précieuse, gardez-vous de croire qu’il soit là pour faire le beau. Il s’exténue, travail énorme ! à scier à demi la feuille par la queue, puis à la rouler en un étui qui doit servir de logement et de première nourriture aux larves. Sa vie entière, sa grande vie de deux à trois semaines, se consume dans ces occupations. En quoi peut être utile à l’insecte lui-même de scier des feuilles, de les