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LES RAVAGEURS

plutôt elle les devine vaguement, car toute créature, jusqu’au dernier des vers, est douée du savoir-faire que réclame sa propre conservation et surtout la conservation de sa race. L’animal n’a pas la raison sans doute, cette haute prérogative de l’homme ; mais il se conduit cependant comme s’il raisonnait ses intérêts avec une justesse devant laquelle qui réfléchit reste confondu. Un autre, en effet, a raisonné pour lui, mes bien-aimés enfants ; c’est la Raison universelle, en qui tout vit, par qui tout vit ; c’est Dieu, père des hommes, mais père aussi des lilas et des chenilles qui les rongent. L’animal sait donc sans avoir jamais appris, il est maître en son art sans avoir passé par les épreuves d’apprenti ; du premier coup, sans expérience aucune, il fait admirablement ce qu’il est destiné à faire. Ce don de naissance, cette inspiration infaillible qui le guide dans son travail, s’appelle l’instinct.

À l’état de papillon, la zeuzère prend très peu de nourriture, tout au plus quelques gouttes de miel au fond des fleurs. Sa trompe si menue, si délicate, exige cette fine boisson. Maintenant qu’il n’a plus ses robustes mandibules, comment le papillon peut-il songer que le bois est chose mangeable ? Garderait-il souvenir de ses appétits de chenille ? Qui pourrait le dire ? Et puis comment le papillon sait-il reconnaître les arbres dont le bois convient aux larves, lorsque nous-mêmes avons besoin d’une certaine éducation pour distinguer les espèces les plus communes ? Lui, sans éducation préalable, ne confond pas un platane avec un poirier, un buis avec un lilas, un chêne avec un orme. Les œufs sont donc pondus