Page:Les Soirées de Médan.djvu/161

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l’air de s’être soucié de garder : demandez la prise du Bourget par les Prussiens : cinq centimes, un sou. Et les femmes que la maigre espérance de 250 grammes de viande pour deux jours met en queue, les pieds dans l’eau, à la porte encombrée des boucheries ; les gardes nationaux qui rentrent des remparts, courbaturés, crachant noir, les yeux cernés par une nuit d’insomnie et de faction montée, tout ce qui passe dans la rue achète et dévore le laconique renseignement du rapport officiel : les francs-tireurs repoussés, le village définitivement au pouvoir de l’ennemi qui s’y fortifie, un bataillon de mobiles des Batignolles fait prisonnier, tout entier. Les journaux donnent d’autres détails plus circonstanciés, et leurs récits particuliers aggravent le récit atténué des états-majors. Les troupes se sont bien battues, mais elles n’étaient pas assez nombreuses. Les régiments engagés n’ont pas été soutenus par les réserves, et le feu de l’ennemi les a décimés. On ne donne pas le chiffre des morts, pas davantage le chiffre des blessés, mais l’un et l’autre, on estime qu’il est considérable. D’effrayants racontars circulent. La défense est désormais impossible. On parle de capitulation. Dans les carrefours des gens soi-disant bien renseignés affirment que la nuit dernière M. Thiers est entré à Paris, porteur de propositions de paix. De bouche en bouche un mot court, un mot de désespérance et d’accusation : « Nous sommes trahis », et Paris tout entier le répète avec un accent farouche, au milieu du brouillard qui s’accroît.

L’émotion a gagné le général en chef. Des rapports de police lui ont appris tout à l’heure que là-haut, dans les faubourgs, l’émeute menace, et que les tam-