Page:Les Soirées de Médan.djvu/174

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lui désigna, sachant qu’il était son ennemi mortel.

— Lui ! cria-t-il avec un accent indigné, lui !

— Un peu, mon neveu. Renversée dans son fauteuil, elle se passa la langue sur les lèvres et balança sa tête avec un air de profonde satisfaction, en femme qui savoure à nouveau une ancienne bonne fortune.

— Lui ! répétait-il avec égarement, lui !

— Eh bien, oui, et puis après ?

En ce moment une clameur plus haute domina toutes les clameurs de la matinée. Dix mille voix d’un enrouement formidable ébranlèrent la salle, confondues dans un cri unique et prolongé. Des portraits de généraux en tremblèrent sur les murs, dans leurs cadres ; les girandoles de cristal des lustres s’entrechoquèrent et rendirent un tintement d’harmonica, tandis que les boiseries des portes, comme sous une poussée invisible, craquaient. Et cependant, au milieu du vacarme, des mots très distincts étaient entendus, toujours répétés : « À bas ! à bas ! Démission ! démission ! »

Mme  de Pahauën eut un grand geste de mépris. Étendant magistralement la main vers la fenêtre, désignant vaguement le populaire qui grondait en bas, dans le brouillard, avec un port de tête hautain et un dédaigneux plissement de lèvres qui lui venait d’un début fait jadis sur une scène théâtrale de dernier ordre :

— Ainsi, dit-elle, ton autorité, la voilà ; ni le peuple, ni les femmes…

Il ne la laissa pas achever. Esprit indécis, aux résolutions lentes, il n’agissait jamais que sous la pression immédiate des faits. Effrayé de la brutalité soudaine de la réalité, comme un homme brusquement tiré