Page:Les Soirées de Médan.djvu/178

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cas où l’envie la prendrait de remonter l’escalier et de venir implorer son pardon, il ferma la serrure à double tour. Alors, dans la solitude, il se sentit redevenir fort. Il regarda sur les meubles : rien d’elle n’y restait plus. Il avait eu peur d’y rencontrer un nœud de ruban défait, une voilette oubliée, quelque chose d’un de ces ajustements féminins qui suffisent quelquefois pour raviver les désirs et réveiller les convoitises. Les fauteuils, vides, tendaient uniformément autour de la salle leurs sièges nus, leurs bras où des clous de cuivre fixaient l’étoffe verte de la moleskine. Seul, un léger parfum d’opopanax échappé des dessous secrets de la toilette de Mme de Pahauën, traînait dans l’air lourd. Alors pour échapper à l’obsession de cet arôme aimé, le général ouvrit une fenêtre. La place, en bas, lui apparut avec son moutonnement de têtes, ses remuements d’émeute, ses baïonnettes serrées qu’un pâle rayon de soleil accrochait et qui luisaient au milieu des menaces et des poings tendus vers lui, de toutes parts. Et il resta là quelques instants, grisé par son impopularité, jouissant des injures, heureux dans sa vanité de pouvoir ainsi bouleverser un monde, exaspérer toute une ville ; des fiertés lui venaient en songeant que bon gré mal gré, ces fureurs-là, il saurait les faire taire, et qu’il n’avait qu’un mot à dire, un ordre à donner, pour faire obéir ces révoltes et contraindre ces indisciplines.

Il se retourna, flairant l’appartement. La délicate et troublante odeur de femme avait fui. La lampe point remontée charbonnait, dégageant une âcre senteur de mèche rance et d’huile chauffée. En ce moment, un craquement se fit entendre pareil au bruit d’une