Page:Les Soirées de Médan.djvu/185

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duite, empêchaient les soupçons, au besoin même, faisaient taire les médisances. Quelquefois, quand les doutes devenaient trop forts, les affirmations trop précises, brusquement, elle donnait congé et déménageait à temps, ce qui empêchait les inductions de s’affermir et les preuves de se contrôler. Alors, elle partait, laissant encore derrière elle une suffisante odeur de sainteté, avec une longue traînée de bonnes œuvres.

C’était son plaisir de duper le public, en cachant des vices excessifs et des raffinements qui allaient jusqu’à la bestialité, sous l’apparence d’une petite existence de bourgeoise vertueuse et tranquille, puis de reprendre en s’affichant avec un amant le tumulte d’une vie affolée. La cour pendant ses absences se désolait. Elle seule jetait une gaieté envahissante dans ce monde d’aventuriers, toujours inquiet, au milieu de ses fêtes, comme des escrocs qui, en mangeant le produit de leur vol, tremblent à tout moment d’entendre frapper à la porte et de voir entrer le commissaire. Toutes les folies étaient les siennes. Son vice même prenait des grandeurs tellement il s’étalait sous la flamme des lustres, sans pudeur et sans hypocrisie. Certaines de ses excentricités étaient demeurées célèbres : un soir, dans un souper, elle était sortie absolument nue d’un pâté colossal dont la croûte gigantesque s’arrondissait sur la table ; la première elle avait pris ces bains de champagne qu’imitèrent depuis les cabotines en quête de fantaisie, à court d’imagination, et la démocratie ne lui avait jamais pardonné d’avoir, au théâtre, un soir de première représentation, pour mieux passer dans le premier rang des fauteuils de balcon, jeté effrontément son paquet