Page:Les Soirées de Médan.djvu/186

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empesé de jupons par-dessus la balustrade et d’avoir gagné sa place, marchant, devant les spectateurs, les jambes à l’air, les cuisses à nu.

Quand Paris avait été investi, elle était restée, par curiosité. Elle n’avait pu résister au désir de voir de près ce spectacle nouveau pour elle, une ville de deux cent mille âmes, enveloppée, affamée, réduite à ses propres ressources. Volontiers, elle avait accepté les difficultés probables de la vie du siège, afin de contempler ce drame extraordinaire, espérant des situations neuves qui égayeraient un peu son ennui de belle corrompue blasée. Dans les premiers jours du mois de septembre, tandis que ses amies, profitant des dernières voies laissées libres, emballaient leurs robes et se bousculaient aux guichets des gares encombrées pour aller attendre, soit à l’étranger, soit dans une province écartée, la fin des événements, elle, payant de sa personne, était bravement entrée dans ce personnel d’ambulances recruté spécialement parmi les femmes désœuvrées, et parmi celles-là surtout qui désiraient conserver leurs chevaux : les autres, ceux du reste de la population, étant réquisitionnés pour les canons, les transports, la boucherie. Et la jolie, et coquette, et souriante ambulancière qu’elle était ! La souffrance, la mort, tout ce qui hurle et pue, tout ce qui suinte et salit dans les salles où les combats entassaient les blessés, où la dysenterie couchait les malades, tout cela n’était pour elle qu’un prétexte à élégances. Avec quelle joie, le matin, elle se contemplait dans la glace, décolletée, avec une toilette de ville si provoquante qu’elle ressemblait à une toilette de bal. Comme jadis elle s’habillait pour le spectacle d’une première représentation, elle s’habillait, se fai-