Page:Les Soirées de Médan.djvu/190

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avec un sourire. Oh ! mon Dieu, oui, elle devenait solliciteuse. Mais ce qu’elle demandait ce n’était pas pour elle. Non, elle n’avait besoin de rien, seulement, une de ses amies redoutait les extrémités d’un long investissement. Elle avait un bébé, il fallait des soins, du lait, alors elle avait songé à demander un sauf-conduit pour aller à la campagne, vivre paisiblement. Une femme, voyons, ce n’est pas très utile dans une ville où l’on se bat. Mais elle ne connaissait personne. Comment faire ? Mme  de Pahauën s’était dévouée, et le général n’avait pas su se défendre de l’ensorcellement qui montait de cette femme.

Sur le bureau, elle avait pris une feuille de papier, l’avait poussée devant lui, et trempant une plume dans l’encre, la lui avait mise entre les doigts. Et pendant que, sous son regard, il rédigeait le précieux laisser-passer, de sa poitrine penchée qui frôlait un peu son uniforme des effluves sortaient qui l’envahissaient tout entier, il ne savait quelle chaude émanation de désir, si intense et si pénétrante que sa main tremblait, traçant sur le papier des lignes incorrectes. Avec son parfum, avec sa parole, elle entrait en lui par tous les pores. Une fascination se dégageait d’elle qui le remuait au plus profond de sa sensualité ; elle prenait possession de tout son être, s’imposait à sa chair.

Il n’ignorait point son histoire, ses aventures, en quelles grandes folies elle s’était dépensée dans la cour impériale. Alors une vanité s’éveillait qui faisait taire toutes les sagesses de l’homme : l’ambitieux paraissait, et c’était une âpre et délicieuse joie pour ce dictateur et pour ce tout-puissant, d’ajouter cette femme à sa domination, de joindre au pouvoir suprême une débauche qu’il jugeait considérable, et