Page:Les Soirées de Médan.djvu/191

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de compléter ses rêves en mordant à même dans ce vivant restant d’empire.

Facilement Mme de Pahauën se rendait à ses sollicitations de vieux militaire amoureux. Par une complication savante, elle cédait, irritant encore ses désirs par des stratagèmes de fausse pudeur, et puis un beau jour devenait sa maîtresse, brusquement, comme si elle s’abandonnait.

À partir de ce moment, cet homme qui tenait dans sa main la destinée de toute une ville, qui pouvait décider du succès et changer la face de l’histoire, hautain et superbe pour tout le monde, était secrètement manié par la capricieuse et fantaisiste main d’une femme. Et il ne savait au juste quel plaisir était le plus grand, ou celui de donner des ordres à l’armée qui ne pouvait discuter ses décisions, ou d’obéir lui-même à cette déréglée petite cervelle de Mme de Pahauën, qui, dans le siège, ne voyait qu’un prétexte à amusement, et trouvait une satisfaction à faire joujou avec la guerre.

Partout elle l’accompagnait. Il était rare qu’on vît passer le général tout seul. Derrière lui, à une légère distance, un coupé discret s’avançait toujours, où ses cheveux rouges éclatant comme une énorme fleur sur les capitonnages de soie mauve, une femme sortait de l’engoncement de ses fourrures et passait, de temps en temps, à la portière une tête curieuse et des yeux interrogateurs. On la rencontrait dans tous les retranchements, partout où l’on remuait de la terre, partout où le génie essayait d’élever des redoutes et d’improviser une défense. On la connaissait, et, à la longue, des légendes se racontaient à son sujet. Du Moulin-Sacquet au Mont-Valérien, de Bobi-