Page:Les Soirées de Médan.djvu/196

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malheurs de ses compatriotes, lui avait loué ce campement un prix exagéré : 30 francs par jour, sans compter les frais journaliers du service. Et la bonne dame, sanglée dans son corset, éplorée sous son bonnet à larges rubans roses, avec des larmoiements d’usurier et des clignements d’yeux d’entremetteuse, lui avait fait remarquer qu’elle consentait à des concessions inouïes. Elle ne lui en faisait pas un reproche, mais là, vraiment, une location à ce prix-là, elle y perdait. Heureusement pour Mme  de Pahauën qu’elle était Française, sans quoi, elle n’aurait jamais conclu un marché à ce prix qu’elle considérait comme tout à fait dérisoire. Songez donc, une chambre au troisième, à peine, car l’entresol n’était pas très haut, avec vue sur la rue, encore. Un officier prussien qui désirait y habiter en avait offert une somme double. Mais, il faut bien s’entraider les uns les autres, n’est-ce pas ? Elle, elle tenait pour le dévouement mutuel. Du reste, au rez-de-chaussée de sa maison, elle avait ouvert une petite boutique où elle débitait du vin, des liqueurs ; et vendant du champagne frelaté, des eaux-de-vie avariées qu’elle baptisait audacieusement du nom de cognac et de fine champagne, Mme  Worimann, Alsacienne, rattrapait sur les ennemis qui venaient boire en sa maison, les soi-disant pertes qu’elle éprouvait, en logeant à des prix excessifs les Français ou Françaises, Parisiens ou Parisiennes que le bonheur d’un sauf-conduit amenait à Versailles, cherchant un exil commode où l’on mangerait du pain blanc à l’abri des obus, sans cependant être trop loin des curiosités et des nouvelles de Paris assiégé.

À ces industries de logeuse en garni et de débitante de liqueurs, Mme  Worimann, secrètement, joignait une