Page:Les Soirées de Médan.djvu/213

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mords. Elle détourna la tête, et faisant un effort pour s’arracher du sol où la clouait l’épouvante, mettant de temps en temps la main devant ses yeux comme pour échapper à l’obsession sinistre de cette vision, à travers champs, elle courut jusqu’à Versailles.

Maintenant, son parti était pris : coûte que coûte, elle irait à Paris. Il lui fallait sa place au milieu des misères ; elle voulait sa part de souffrance, demandait son morceau de danger. Et puis, si tout était fini, si Paris devait crouler et avec lui l’Empire, vingt ans de corruption, elle se figura qu’elle manquait au dénoûment. Comme les cabotines, à la scène finale, au milieu des jets de lumière électrique et des flammes de Bengale du dernier acte d’une féerie, il lui sembla qu’elle devait réapparaître et tenir son emploi dans cette funéraire apothéose. Elle songea aussi qu’elle pourrait exaspérer les résistances, fouetter les colères, animer enfin cette défense somnolente et lui souffler des audaces. Oui, elle irait. Elle dirait de combien peu de troupes disposait l’ennemi. Elle dénoncerait ses forces dispersées, ses armements insuffisants, ses fortifications fictives, la pauvreté de son corps d’investissement, et qui sait ? peut-être arriverait-elle à secouer les torpeurs et à décider les hésitations.

Le bombardement entendu au loin continuait, correct, effroyable. Paris se taisait toujours, résigné.

Alors elle rêva de choses immenses : les forts tonnant à sa parole, l’armée marchant sous son impulsion, et le souvenir romanesque de ses lectures se mêlant à l’exaltation de ses nerfs, elle s’imaginait qu’un jour elle tiendrait sa place, dans l’histoire, à côté des héroïnes célèbres dont le courage et la volonté