Page:Les Soirées de Médan.djvu/212

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cette ville sans gaz, qui gisait dans le pli du vallon, avec les refroidissements sinistres d’un astre à jamais éteint. À peine, si deci delà, dans les profondeurs de son horizon d’ombre, une pauvre clarté oscillait, lointaine, tremblante, et cette rare lumière faisait songer Mme de Pahauën. Malgré elle, elle la comparait à ces bougies qu’on allume pieusement au chevet des morts.

Tout à coup, sous ses pieds le sol trembla, secoué par des détonations successives : les oreilles lui tintèrent douloureusement. À sa droite, à sa gauche, une lueur immense courut, l’amphithéâtre des collines s’alluma des lueurs d’un immense incendie, un épouvantable fracas de mitraille éclata, des projectiles sifflèrent. Dans Paris, soudainement éclairé, des obus éclataient de place en place. C’était le bombardement. Les bordées se suivaient, calmes, réglées, mathématiques, tandis que là-bas, Paris, dans une immobilité cataleptique, ne ripostait pas. Rien ! Pas un coup de fusil aux avant-postes, pas un coup de canon aux bastions. Si bien que, dans les intervalles de silence, on entendait comme des écroulements de maisons, distinctement.

Alors, madame de Pahauën se trouva lâche. Elle eut honte d’avoir fui la ville désolée, elle se reprocha d’être à l’abri, pendant que ses concitoyens souffraient, maigris par la famine, décimés par les combats, nuit et jour. L’effroi augmentant l’intensité de ses sensations, elle s’imagina que chaque coup portait, et que, dans cette ombre funéraire, toute décharge ruinait un quartier, tout éclat de bombe faisait un mort. Paris lui apparut alors comme une ville de massacre et de décombres, et son spectre la hantait comme un re-