Page:Les Soirées de Médan.djvu/243

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On avait allumé les deux chandelles, et une procession commença : chacun venait coller son oreille à la poitrine de Joliot.

— C’est vrai !… il respire, disait-on en se relevant.

Et la chambrée ne se lassait pas d’être attentive. Sauvageot fut le premier qui parla de déboutonner le blessé, de lui laver la figure ; mais on ne s’empressa point tout d’abord, parce qu’on se répétait, les yeux dans les yeux, avec des froncements de sourcils, assez tranquillement néanmoins :

— Où diable ! Joliot s’est-il fait arranger comme ça ?

— Les Prussiens, peut-être… insinua un conscrit.

On l’envoya dinguer. Comme si les corps de garde auraient laissé passer quelqu’un aux portes de la ville !… Et puis, les Prussiens,… de la blague ! toujours annoncés, jamais en vue… Des filous qui se dérangeaient, ceux-là ! oui,… mais pas pour trois mille hommes de garnison, dans un trou.

À présent, le blessé semblait dormir, pâle et les traits tirés, l’air jeune tout de même, avec son visage bien débarbouillé, ses moustaches naissantes qui lui dessinaient une ombre sur la lèvre supérieure. Un filet de sang continuait à lui couler du menton, allait en s’élargissant au contact de sa peau humide. Autour de lui, une inquiétude planait, et malgré l’inutilité de la question, on en arrivait sans cesse à se demander :

— Mais où diable ! Joliot s’est-il fait arranger comme ça ?

Cela devenait un refrain, le refrain d’une chanson derrière laquelle des colères sourdes ne demandaient qu’à s’embusquer.