Page:Les Soirées de Médan.djvu/246

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regard du blessé, lentement, semblait vouloir s’éclairer, mais sa gorge continuait à siffler.

« Joliot !… Joliot !… Comment ça va-t-il ? s’acharnait-on à répéter autour de lui… Mieux, hein ? »

On voulait à toute force qu’il allât mieux. Et de grosses larmes commencèrent à lui couler des yeux, glissèrent sur ses joues vers ses oreilles. Sa bouche grimaçait avec une contraction douloureuse.

— Tonnerre de Dieu ! lâcha un troupier ; et bousculant presque les camarades, il s’approcha de Joliot, lui souleva un peu la tête, criant comme un acteur sûr d’un effet :

— Joliot, m’entends-tu ?… Dis, m’entends-tu ?

Joliot le regarda. Ce fut pour éclater en sanglots qui s’échappaient dans un hoquet terrible. Un flot de sang lui couvrit le menton.

Alors s’éparpilla comme un concert où des voix de colère se mêlaient à des voix compatissantes. Tout le monde à la fois cherchait à le consoler : « Ne pleure donc pas… Le major va venir… Pauvre vieux ! Pauvre vieux ! sois tranquille, on te vengera… As-tu encore soif ?… Tâche de parler, de nous dire qui t’a roulé ainsi ? »

Joliot mâcha deux ou trois lambeaux de phrase, au milieu de l’attention anxieuse, mais aucun éclaircissement ne jaillissait. On s’emporta : « Dire qu’on n’arriverait pas à savoir ! Nom de nom, de nom de Dieu ! » Et des jurons se croisèrent au-dessus du corps étendu comme des balles sur l’immobilité d’un cadavre, dans un coin de champ de bataille.

— Allons, taisez-vous ! finit par crier Verdier… Si chacun s’en mêle, du flan !… Laissez-moi l’interroger.