Page:Les Soirées de Médan.djvu/245

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Une recrudescence d’affection montait pour Joliot avec les colères. On s’empressa de nouveau. Des mains tremblantes, suivies par des regards fiévreux, lotionnèrent les tempes et le front du blessé, étanchèrent maternellement son sang, lui firent un oreiller d’une capote. Ah ! on ne pensait guère à dormir… Et tout en s’agitant, chacun avait enfourché son pantalon, remis ses godillots, passé ses bretelles, ficelé ses guêtres, inconsciemment s’était habillé, non pas pour le plaisir de traîner ainsi vêtu le long des lits, mais afin d’être prêt à quelque chose.

Une vague entente, des lambeaux de projets se croisaient, cherchaient à prendre forme dans les caboches brutales. Mille réflexions se bousculaient l’une l’autre. L’air était plein d’électricité. À tout instant il fallait de l’eau fraîche pour laver le menton de Joliot ; Lefèvre empoignait la cruche en grès, courait dans la cour, et l’on entendait pisser le robinet de la fontaine.

Soudain, au moment où l’on s’y attendait le moins, le blessé remua, ouvrit la bouche ; un râle sifflant lui gonflait la gorge. Verdier sauta sur son bidon :

« Comment n’avait-on pas encore pensé à ranimer Joliot avec un peu d’eau-de-vie ! »

Au bout de trois minutes, celui-ci promena vers le plafond un regard si éteint, si incolore, qu’il semblait voilé par une peau fine.

— L’œil est mauvais, murmura un grand diable qui n’en finissait plus. Le major ferait bien d’arriver.

Cependant Joliot paraissait ne rien voir. Les bras et les jambes lourds, il était comme pétrifié. Sauvageot lui prit une main, essaya de la réchauffer. Le