Page:Les Soirées de Médan.djvu/257

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— Oh ! hisse !

La porte s’arrêta net, mais homme par homme, rien n’empêchait plus d’entrer. Verdier pris d’hésitation ne se précipita point ; alors le grand soldat, courbé en deux, lui passa sous le nez tout en armant son chassepot, mais à peine dans la chambre il poussa un cri. Une femme à genoux sur une commode, derrière la porte, lui avait asséné un coup de chandelier, et fiévreuse, elle grondait :

— L’as-tu reçu, voyou ?

Le troupier à demi étourdi la coucha en joue, mais gêné par les chaises autour de lui, maladroitement, il la manqua. Presque aussitôt elle fut debout sur le marbre de la commode, très petite, le corps chétif, la crinière pommadée, une vraie toupie à soldats. Un costume fantaisiste de cantinière, sali, bariolé, trop court, lui donnait un aspect extravagant d’oiseau des îles éclaboussé. Elle avait des bottines en satin cramoisi, à boutons d’or, et des bas noirs sabrés de vert. Au-dessus d’un nez en lame de couteau, ses yeux brillaient dans une couche de fard bleu.

Une rumeur triste s’élevait du corridor. Personne n’osait braver le danger hasardeux couru par le grand troupier. Le silence de la chambre entre-close était effrayant.

Devant une fenêtre dont les rideaux blancs paraissaient jaunes à cause de l’aurore boréale, comme si un large foyer menaçait de les incendier, sept femmes étaient rangées le long d’un canapé tendu de velours vert, serrées les unes contre les autres, épouvantées, dans le clinquant de leurs coiffures et de leurs sales oripeaux. Par un sentiment de terreur folle, on avait allumé toutes les bougies des flambeaux de la