Page:Les Soirées de Médan.djvu/262

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lard, sans cause raisonnable, simplement parce qu’il était soûl, poussait des cris de paon, voulait mettre le feu aux quatre coins de la ville, parlait d’incendier les magasins à fourrage, tout le bataclan, et l’on commençait à l’écouter sérieusement, quand un coup de feu partit soudain d’une fenêtre, frappa l’officier du haut en bas, lui troua le crâne. On le vit rester un instant debout, balbutier :

« Cochons !… Oh ! les cochons !… Mourir comme ça ! »

Du sang lui coulait sur la figure, puis lentement il s’affaissa, blême, jusqu’à la minute où il disparut dans un ouragan d’épaules, lui et son suprême regret de ne pas être tué à l’ennemi.

La fusillade roulait toujours à travers la maison. Une atmosphère de meurtre, un souffle de destruction échauffaient les têtes. Des artilleurs lâchèrent tous les chevaux du train, et ceux-ci parcoururent la ville en troupe hennissante, tantôt battant les pavés dans un tourbillon d’étincelles, tantôt bouleversant la place d’armes où ils apportaient l’affolement de leur libre galop. De tous côtés, les clairons sonnaient ; les trompettes groupés devant la grille de la caserne s’entouraient de fanfares joyeuses. Des cabarets s’étaient ouverts et des cohues les avaient envahis. La ville appartenait aux soldats ; on avait déserté les postes, abandonné les guérites, ouvert la prison. Chassés par les sinistres fumisteries de la garnison en goguette, les habitants regagnaient leurs lits, se demandant : Comment tout cela va-t-il finir ? De rares coups de fusil éclataient encore, au hasard des fonds de giberne.

C’est alors que les officiers se séparèrent. Ils