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APRÈS LA BATAILLE



On se battait encore, très loin maintenant, sur l’autre versant du plateau, à deux ou trois lieues. Le jour touchait à sa fin, sans que la canonnade se ralentît. Un brouillard glacé se levant du fond de la vallée voisine assourdissait les coups.

Un fantassin français se traînait sur la grande route départementale, seul, blessé au pied gauche. Une balle lui avait labouré le talon, heureusement sans fracturer l’os, et elle était ressortie. Obligé d’arracher son soulier, il avait pansé la plaie comme il avait pu, avec un pan de sa chemise déchiré en bandes. Il avançait très lentement, se servant de son fusil comme d’une canne, appuyant le moins possible son pied malade contre le sol durci et rendu glissant par la gelée. Les linges du pansement étaient tout rouges, imbibés de sang comme une éponge.

Non seulement sa souffrance physique était très grande ; mais, avec la mobilité de sa physionomie, à certains longs frissons qui le secouaient tout entier, on était sûr que ce petit corps grêle et chétif, à organisation nerveuse, éprouvait toute sensation, agréable