Page:Les Soirées de Médan.djvu/268

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victorieuse : lui, pourtant, un engagé volontaire par enthousiasme patriotique ! Il s’appliquait à consolider de son mieux le bandage improvisé de sa blessure. Puis, n’ayant rien pris depuis de longues heures, il se souvint qu’il devait avoir un reste de biscuit dans une poche de sa capote. Et il grignotait mélancoliquement son biscuit dur. Sa soif était ardente. Rien à boire ! Il portait bien une petite gourde en bandoulière : elle se trouvait vide. Il la déboucha pourtant, la porta à ses lèvres : une seule goutte d’eau-de-vie lui arriva sur la langue. Il se mit à réfléchir sur sa position.

Il ne savait même pas où il se trouvait. Tant de marches et de contre-marches, depuis quinze jours que son détachement avait rejoint l’armée de Chanzy et faisait campagne, l’avaient complètement désorienté. Ses idées, d’ailleurs, depuis qu’il s’était réveillé de son évanouissement au milieu d’un champ de betteraves, manquaient de netteté.

Combien de temps était-il resté évanoui : dix minutes ? trois heures ? une journée entière ? Il ne savait pas. Tout ce qu’il se rappelait était ceci.

Son bataillon avait passé une nuit entière dans un petit chemin creux, les hommes couchés à plat ventre, tout habillés. Défense de se servir du campement, même d’allumer une cigarette. Tout cela pour ne pas donner l’éveil aux avant-postes bavarois qu’il s’agissait de surprendre. Un peu avant l’aurore, une batterie de six pièces était arrivée dans le chemin creux, et son bataillon s’était porté à quinze cents mètres. Là, quelques minutes de halte derrière un rideau de peupliers ; puis, une centaine de ses camarades et lui, avaient dû s’avancer en tirailleurs contre un long mur