Page:Les Soirées de Médan.djvu/276

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douleur. Et Gabriel Marty, distrait un moment de son angoisse personnelle, retenait son souffle.

— Vous allez voir vous-même que je ne peux pas !…

Et s’étant approchée de l’arrière du chariot, elle souleva brusquement un coin de la toile goudronnée.

— Regardez !

À la lueur de la lanterne, apparut une caisse en bois blanc, recouverte d’une étoffe noire.

— Il y a là le corps du baron de Plémoran, ancien zouave pontifical, mort sur le champ de bataille…

Elle fut obligée de s’interrompre quelques secondes, comme pour retrouver sa voix, puis elle ajouta :

— C’était mon mari… Je l’ai enseveli ce matin… On se battait… Personne ne voulait le transporter : alors j’ai acheté à un paysan ce cheval et cette charrette…

Ne trouvant rien à dire, Gabriel Marty enleva son képi, tomba à genoux, fit un signe de croix, et se mit à prier.

Un quart d’heure après, la charrette filait sur la route, au petit trot du cheval. La veuve du baron de Plémoran conduisait. Et, derrière elle, le jeune soldat étendu dans la charrette sur de la paille, dormait déjà profondément, à côté du cercueil.

Le cheval était un lourd mais solide cheval de labour. Pour lui faire garder le trot, la jeune femme le fouettait à chaque instant. La route, défoncée et presque détruite par les allées et venues de plusieurs corps d’armée, devenait à chaque instant très difficile. La jeune femme s’en tirait en personne ayant beaucoup monté à cheval.

Il pouvait être neuf heures du soir. Une montée très raide et très longue se présenta. Il ne s’agissait