Page:Les Soirées de Médan.djvu/277

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plus d’aller au trot. Elle quitta le fouet, tint les guides plus lâches, laissa le cheval aller à sa guise. Maintenant, elle se livrait tout entière à ses réflexions.

Sans se rendre compte du pourquoi, elle se sentait devenue très calme. Son corps n’éprouvait plus cette agaçante trépidation nerveuse qui, une heure auparavant, la secouait malgré elle. Puis elle se dit que c’était peut-être à la présence du blessé qu’elle devait sa présente tranquillité. N’y a-t-il pas des moments où la compagnie d’un enfant au maillot, même d’un animal, suffit pour réconforter ? Qui sait, le lendemain, on amputerait peut-être ce garçon. Dans vingt-quatre heures, il serait peut-être mort comme M. de Plémoran. Eh bien ! c’est ainsi qu’il le lui fallait ! Valide, bien portant, bien armé, prêt à lui prêter main forte, elle n’en aurait plus voulu. Pourquoi ? Parce que, maintenant qu’elle avait tant fait que d’être héroïque, elle ne voulait pas « qu’on lui gâtât son héroïsme. »

Aussi, son plan était-il arrêté. Tant que le jeune soldat ne remuerait pas davantage, continuerait à ne pas être gênant, elle le voiturerait, jusqu’à ce que, le jour venu, elle pût le laisser dans une auberge ou dans quelque ferme hospitalière. Elle donnerait même de l’argent pour que le malheureux ne manquât de rien, fût soigné convenablement. Puis, elle continuerait son voyage, jusqu’à ce qu’elle atteignît la prochaine gare de chemin de fer. Si la voie était coupée, elle irait plus loin. Dût-elle faire encore cent kilomètres seule, au milieu de cette contrée où plusieurs corps d’armée se battaient depuis quinze jours, elle finirait bien par trouver un train qui la ramènerait en Basse-Bretagne, à Plémoran, elle et les restes de son mari.