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L’ATTAQUE DU MOULIN

fenêtre, les balles entrèrent. Deux soldats roulèrent sur le carreau. L’un ne remua plus ; on le poussa contre le mur, parce qu’il encombrait. L’autre se tordit en demandant qu’on l’achevât ; mais on ne l’écoutait point, les balles entraient toujours, chacun se garait et tâchait de trouver une meurtrière pour riposter. Un troisième soldat fut blessé ; celui-là ne dit pas une parole, il se laissa couler au bord d’une table, avec des yeux fixes et hagards. En face de ces morts, Françoise, prise d’horreur, avait repoussé machinalement sa chaise, pour s’asseoir à terre, contre le mur ; elle se croyait là plus petite et moins en danger. Cependant, on était allé prendre tous les matelas de la maison, on avait rebouché à moitié la fenêtre. La salle s’emplissait de débris, d’armes rompues, de meubles éventrés.

— Cinq heures, dit le capitaine. Tenez bon… Ils vont chercher à passer l’eau.

À ce moment, Françoise poussa un cri. Une balle, qui avait ricoché, venait de lui effleurer le front. Quelques gouttes de sang parurent. Dominique la regarda ; puis, s’approchant de la fenêtre, il lâcha son premier coup de feu, et il ne s’arrêta plus. Il chargeait, tirait, sans s’occuper de ce qui se passait près de lui ; de temps à autre seulement, il jetait un coup d’œil sur Françoise. D’ailleurs, il ne se pressait pas, visait avec soin. Les Prussiens, longeant les peupliers, tentaient le passage de la Morelle, comme le capitaine l’avait prévu ; mais, dès qu’un d’entre eux se hasardait, il tombait frappé à la tête par une balle de Dominique. Le capitaine, qui suivait ce jeu, était émerveillé. Il complimenta le jeune homme, en lui disant qu’il serait heureux d’avoir beaucoup de tireurs de sa force.