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ELEGIE. III.

 


Mon ame languissait, & d'une longue aleine,
Par mes tristes soupirs, j'allegeois en ma peine
Mon eternel regret, & logeois en mes os
Les soucis importuns qui m'ostoyent le repos.
Tout m'estoit desplaisant & ma gesne cruelle
Me pressoit sous l'horreur de sa force mortelle,
Tandis que loin de vous, je n'ay eu en mon cœur,
Que peine, que souci, que travail, que mal-heur,
Tout m'estoit desplaisant, & durant mon dommage,
Je ne couvois que peur & perte en mon courage,
Car une froide crainte espandue dans moy
Compagne de l'amour redouble mon esmoy,
Et taschant d'arracher l'esperance meilleure
Qui plantee en mon sang, garde que je ne meure.
Las tout m'estoit fascheux, la clarté du Soleil
Nuisoit par votre absence au cristal de mon œil,
Et des obscures nuicts l'horreur espouvantable
Martyroit encor plus mon esprit miserable,
Les moments m'estoient ans, & en mon triste sort
Je n'avois devant moi que l'effroy de la mort :
Et combien que le temps de ma peine fascheuse
N'ait longuement pressé ma vie langoureuse,
Si n'ay-je pas laissé d'estre cruellement
Travaillé en mon cœur de mal & de tourment.
Car les mois ni les ans ne sont par la mesure
Des effets de l'esprit qui n'est de leur nature,
Il mesure ses maux, & ses contentements,
Non par ages tournans, par siecles ou momens,
Mais selon la douleur de son cruel martyre,
Ou selon la douceur d'un bon heur qu'il desire.
Je veux donc maintenant apres les longs souspirs,
Battans encor l'air sur l'aile des Zephirs,