Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/55

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Avez vous quelque soing pour le moins de ma vie ?
Ne cognoissez vous point que trop de passion
M'empesche d'exprimer de quelle affection
Serf de vostre beauté, vostre vertu j'honore,
Sert de vostre vertu, vostre beauté j'adore,
Si vous ne le sçavez, las ! vous me faites tort,
Et sans avoir failli vous me donnez la mort,
Et je mourray content, pourveu que quand ma vie
Se sera de mon sang à la fin de partie,
Vous sçachiez que pour vous j'ay porté dans mon cœur
Le martyre d'amour, sa force et sa rigueur,
Et encor plus heureux j'esteindray ma lumiere,
Si devant que tomber sous mon heure derniere
Je suis seur qu'une fois esmeuë de pitié
Vous avez recognu ma fidelle amitié.
Hé ne pensez vous point, mon cœur que l'on ne trouve
Un grand contentement, si aimant qu'on esprouve
Un reciproque amour, puis qu'avec le tourment
On prent avec l'amour la mort bien doucement ?
Y a-il rien meilleur en ce monde que vivre ?
T a-il rien plus doux en la terre que suivre
Les plaisirs de l'amour ? & est-il rien plus beau
Qu'avec contentement tomber sous le tombeau.
Vivons donq' & aimons, & cheans sous la lame
D'un eternel amour accompagnons nostre ame,
Aimons nous en vivant aimant ensemblement :
Car il n'est pas assez que couver doucement
L'amour dedans son cœur, il faut que si on aime
On use pitié tout premier à soy-mesme,
Et puis à cestuy-là qui par ses doux souspirs
Aura monstré le but de ses chastes desirs.
L'amour n'est point amour, ce n'est rien qu'une rage
Si en aimant on n'a un semblable courage,