Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/56

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Et ce n'est point amour ce que l'on nomme ainsi,
Si on porte en son sang un doux poignant soucy
Pour un autre qui n'a de passion semblable,
Dans le centre du cœur, le desir agreable.
Tout ce qui est ça bas accompli l'est par deux,
Par doublee unité tout ce dit bienheureux,
Tout ce qui en ce monde a quelque subsistance,
Est de deux pour estre un d'une parfaite essence,
Mesme l'esprit est deux conjoint à l'intellect,
Par deux unis en un l'univers est parfaict.
C'est ceci, mon soleil, c'est ceci qui me tue,
C'est ceci qui dans moy rend mon ame esperdue,
C'est ce qui tirannise & deschire mon cœur,
Qui cause mon bon heur, qui cause mon malheur :
Mon bon heur pour autant que d'une belle envie
Vvivant en vous aymant je vous tiens pour ma vie :
Mon amlheur, pour autant que des que je fus né
Pour ne meriter rien j'ay esté destiné.
C'est ce qui dedans moy sans cesse me tourmente
Et ce qui mon tourment journellement augmente,
Car si jamais amant fut plain de loyauté,
Nul plus que je le suis encores n'a esté,
Et si des traits d'amour ame fut onq' atteinte,
Si sous sa cruauté ame a esté contrainte,
La mienne l'a esté & encore le sera,
Tant que d'un doux souspir mon cœur s'allegera.
Ha ciel ! que n'as tu fait qu'au jour de ma naissance
Heureusement poussé d'une juste influence,
Je n'ay esté assez, pour celle à qui je veux
Donner le saint devoir de mes plus humbles vœux,
Ou bien si tu voulois qu'une fois je la visse,
M'estant en un moment & contraire & propice,
Si tost que son bel œil eut le mien allumé,