Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/70

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Fors le devoir commun d’amour en mon courage.
Mais quand le sort voulut que je vy vos beautez,
Autrement que jamais mille divinitez
Agitterent mon coeur, & d’un mal non semblable
À mes premiers desirs, mais cruel agreable
Je me senti vaincu, & hors d’une froideur
Mon cœur estre alteré, & puis d’une chaleur
Aussi tost refroidi & sentis en ma playe,
Un mal qui n’est cognu qu’à celuy qui l’essaye.
Hé ! mon dieu que l’amour eut lors de force en moy,
Qu’il peut dessus mes sens, qu’il peut dessus ma foy,
De m’avoir tant changé que m’oubliant moy-mesme,
En tout autre amitié, seule mon cœur vous aime,
À l’heure de vous voir j’euz bien peu de loisir,
Et j’ay beaucoup de temps ores de desplaisir,
Seulement vos beaux yeux au premier m’apparurent,
Dont milles amours nouveaux en mes veines coururent
Mais les recognoissant lors je les desdaignois
En les admirant plus que je ne les cognois.
Un peu de temps apres la venerable Idee
De vos perfections fut en moy imprimee,
De sorte que dehors touché heureusement
Je n’euz plus dedans moy desir ni mouvement
Qui ne tendis à vous, & sentis en mon ame
Autrement que devant une divine flame
Qui ne receut adonc en cest effort premier,
Que les avancoureurs de mon chaste brasier.
Quand je m’en dus allé & que la nuict muette
Eut tiré en conseil ma pauvre ame seulette,
Las ! je sentis combien il me faudroit souffrir
Sous l’espoir incertain, qui or' me fait languir,
Sans me pouvoir resoudre, ains remettant ma vie
Au gré de la beauté qui la tient asservie,