Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/69

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Et si quelque amitié vous a jamais atteinte,
Vous sçaurez comme moy mon ame fut contrainte
Se consumer pour vous des lors que j'eu conceu
Le doux feu qui m'estoit encores incongnu,
Et si vostre loisir vous permet de tout lire,
Vous verrez la douleur que pour vous je souspire.
Et le but où je tens pour me resoudre en fin,
Selon vostre vouloir à mon dernier destin.
Le ciel m'est vray tesmoin, que jamais de ma vie
Je n'avois resenti ceste aggreable envie
Qui me contraint aymer, & dans mon cœur transi
Pour quelque autre beauté loge quelque soucy.
Je vivois franc de soin, & d'un amour vulgaire
J'aymois comme chacun tout cela qui peut plaire,
S'il avenoit parfois que pour une beauté
Mon esprit faut dans moy doucemetn agitté,
Cela passoit soudain, & de ma fantasie
J'arrachoix aisement ceste belle follie :
Parfois je me plaignois, mais ceste passion
En la continuant se trouvoit fixion.
Je ne pouvois ancrer quoy que je le voulusse
Cest amour en mon cœur, & encor que j'y eusse
Pour quelque peu de temps, gravé quelque desir,
D'un autre aussi soudain je me sentois saisir,
Oubliant le premier pour faire à l'autre place
Selon que m'incitoit de mon objet la grace.
Je faisois tout ainsi que les filles du ciel,
Qui recueillent des fleurs la substance du miel,
Remarquant des beautez ce qui plus nous attire
Et qui les cœur aymans doux aigrement martire,
Et sans en reserver nulles impressions,
Par la comparaison de leurs perfections
Je me sentois contant, ne mettant d'avantage