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LA PÊCHE AUX ANGUILLES.

soit possible de rompre l’obstacle. Il se démène et s’agite, il appelle Renart : « À mon secours, beau neveu ! il y a tant de poissons que je ne puis les soulever ; viens m’aider ; je suis las, et le jour ne doit pas tarder à venir. » Renart, qui faisoit semblant de dormir, lève alors la tête : « Comment, bel oncle, vous êtes encore là  ? Allons, hâtez-vous, prenez vos poissons et partons ; le jour ne peut tarder à venir. — Mais, » dit Ysengrin, « je ne puis les remonter. Il y en a tant, tant, que je n’ai pas la force de soulever l’engin. — Ah  ! » reprend Renart en riant, « je vois ce que c’est ; mais à qui la faute ? Vous en avez voulu trop prendre, et le vilain a raison de le dire : Qui tout désire tout perd. »

La nuit passe, l’aube paroit, le soleil se lève. La neige avoit blanchi la terre, et messire Constant des Granges, un honnête vavasseur dont la maison touchoit à l’étang, se lève et sa joyeuse mégnie. Il prend un cor, appelle ses chiens, fait seller un cheval ; des clameurs partent de tous les côtés, tout se dispose pour la chasse. Renart ne les attend pas, il reprend lestement le chemin de Maupertuis, laissant sur la brèche le pauvre Ysengrin qui tire de droite et de gauche, et déchire sa queue cruellement sans parvenir à la dégager. Survient un garçon tenant deux levriers en laisse.