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TREIZIÈME AVENTURE.

des marchands de poisson qui conduisoient à la foire une provision de tanches et de harengs. Renart, loin de s’effrayer de leur approche, se vautre dans la terre humide, s’étend en travers du chemin, la queue roide, la pelisse toute blanchie de fange. Il se place jambes en l’air, dents serrées, balèvres rentrées, langue tirée et les yeux fermés. Les marchands en passant ne manquent pas de l’appercevoir. « Oh ! regarde, » dit le premier, « par ma foi c’est un goupil. Belle occasion de payer avec sa peau l’écot de la nuit ! Elle est vraiment belle, on en feroit une bonne garniture de surcot ; je ne la donnerois pas pour quatre livres. — « Mais, » dit un autre, « elle les vaut, et mieux encore ; il ne faut que regarder la gorge. Voyez comme elle est blanche ! Or, mettons-le dans la voiture, et dès que nous serons arrivés, nous lui ôterons ce manteau qui doit lui tenir trop chaud. »

Cela dit, on le lève, on le jette sur la charrette, on l’étend au-dessus d’un grand panier, on le recouvre de la banne, puis on se remet en route. Ce panier contenoit pour le moins un millier de harengs frais. Renart que les marchands ne surveilloient guères, commence par en savourer une douzaine ; puis la faim cesse et la satiété arrive. C’est le moment de penser à s’échapper ; et comme, tout en dévorant, il