Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/146

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encore chauds. Enfin, on a vu le cœur humain aux prises avec le code. Les clients d’une étude exercent une horrible et active corruption sur la cléricature. Le fils s’y plaint du père, la fille de ses parents. Une étude est un confessionnal où les passions viennent vider le sac de leurs mauvaises idées, consulter sur leurs cas de conscience en cherchant des moyens d’exécution. Y a-t-il rien au monde de plus dissolvant que les inventaires après décès ? Une mère meurt entourée des respects et de la tendresse de sa famille. Quand, en fermant les yeux, le rideau tombe sur la farce jouée, le notaire et son clerc trouvent les preuves d’une vie intime épouvantable, ils les brûlent ; puis, ils écoutent le panégyrique le plus touchant de la sainte créature ensevelie depuis quelques jours, ils sont forcés de laisser à cette famille ses illusions, ils se taisent par un sublime mensonge ; mais quels rires, quels sourires, quels regards, le patron et son clerc n’échangent-ils pas en sortant ? Pour eux, le politique immense qui trompait l’Europe était trompé comme un enfant par une femme : sa confiance avait le ridicule de celle du malade imaginaire avec Beline. Ils cherchent quelques papiers utiles chez un homme dit vertueux et bienfaisant sur la tombe duquel on a brûlé l’encens de l’éloge et fait partir les décharges les plus honorables de l’artillerie des regrets ; mais ce magistrat, ce vénérable vieillard était un débauché. Le clerc emporte une horrible bibliothèque qui se partage dans l’étude. Par un usage et par un calembour immémorial, les clercs s’emparent de tout ce qui peut offenser la morale publique ou religieuse et qui déshonorerait le mort. Ces choses infâmes constituent la cote G. Personne n’ignore que les notaires cotent par les lettres de l’alphabet les papiers, les documents et les titres. La cote G (j’ai) contient tout ce que prennent les clercs. — Y a-t-il de la cote G ? est le cri de l’étude quand le second clerc revient d’un inventaire.

Le partage fini, le diable inspire les commentaires qui se font entre la poire cuite du troisième clerc, le fromage du second et la tasse de chocolat du Principal. Croyez-vous que sept ou huit gaillards, dans la force de l’âge et de l’esprit, ennuyés du travail le plus ennuyeux, aplatis sur des pupitres à copier des actes, à étudier des liquidations, échangent les maximes de Fénelon et de Massillon au moment où, le patron parti, restés seuls, ils prennent une petite récréation ? L’esprit français, comprimé par les cartons poudreux du Minutier, éclate en saillies et recule les limites du drolatique. La langue de Rabelais y a le pas sur celle de Florian. On y devine les intentions des clients, on commente leurs friponneries, on les bafoue. Si les clercs ne bafouaient pas les clients, ils seraient des monstres : ils seraient notaires avant le temps. Ces débuts de la pensée dans la froide carrière du calcul ou du libertinage sont terminés par le grand mot du Principal : « Allons, messieurs, on ne fait rien ici ! » Ce qui certes est vrai. Le clerc parle beaucoup, il conçoit tout et reste vertueux comme un as de pique, faute d’argent. La grande plaisanterie des études à l’égard des nouveaux venus est de leur présenter comme existants de chimériques, de monstrueux usages : quand le clerc y croit, le tour est fait. On rit.

Ces plaisants concertos ont lieu devant un petit garçon de dix à douze ans, l’espoir de sa famille, à tête blonde ou noire, à l’œil vif, le petit clerc ! cet empereur des gamins de Paris qui joue le rôle de fifre dans cet orchestre où chantent