Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/149

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et peuvent ainsi conserver une physionomie : ils restent à peu près ce que la nature les a faits. Après sept ou huit ans d’exercice, vers trente-deux à trente-six ans, le principal est pendant quelques jours visiblement perturbé : il est atteint par une Charge au cœur. Mais dans aucune partie, ni dans l’église, ni dans le militaire, ni à la cour, ni sur le théâtre même, il n’y a de changement analogue à celui qui se fait chez cet homme, en un moment, du jour au lendemain. Dès qu’il est reçu notaire, il prend ce visage de bois qui le rend plus notaire qu’il ne l’est avec son petit manteau officiel. Il a les façons les plus solennelles, les plus graves avec les premiers clercs ses amis, qui cessent aussitôt d’être ses amis. Il est entièrement dissemblable de l’homme qu’il était la veille, le phénomène de sa troisième incarnation entomologique est accompli : il est notaire.

Frappés des désavantages de leur position au centre d’une ville pleine de jouissances, qui tend sa robe à tout venant, qui la relève d’une façon si séduisante à l’Opéra, les notaires au désespoir d’être dans leur vêtement moral, comme des bouteilles de vin de Champagne dans la glace, froids et pétillants, comprimés et animés ; sous l’Empire, les notaires avaient établi, disait-on à mots couverts dans les études, une société de riches notaires, laquelle était au notariat ce qu’une soupape est dans une machine à vapeur. Secrètes étaient les assemblées, secrets étaient les intermèdes, étrangement  drolatique était le nom de cette société où le grand commanditaire était le Plaisir, où Paphos, Cythère et même Lesbos étaient membres du conseil de discipline, où l’argent, principal nerf de cette association mystérieuse et joyeuse, abondait. Que ne disait pas l’histoire ? On y mangeait beaucoup d’enfants, on déjeunait de petites filles, on soupait de mères, on ne s’apercevait plus ni de l’âge ni du sexe, ni de la couleur des grand’mères sur le matin, après des bouillotes échevelées. Héliogabale et les empereurs n’étaient que des petits clercs auprès de ces grands et gros notaires impériaux, dont le moins intrépide, le lendemain, apparaissait grave et froid comme si son orgie n’avait été qu’un rêve. Aussi, grâce à cette institution où le notaire déversait les inspirations du malin esprit, le notariat parisien eut-il alors moins de faillites à compter que sous la restauration. Peut-être cette histoire est-elle un conte. Aujourd’hui les notaires parisiens ne sont plus autant liés qu’autrefois, ils se connaissent moins, leur solidarité s’est dénouée avec les transmissions trop répétées des offices. Au lieu d’être notaire quelque trente ans, la moyenne de l’exercice est de dix ans au plus. Un notaire ne pense qu’à se retirer, ce n’est plus le magistrat des intérêts, le conseil des familles, il a tourné beaucoup trop au spéculateur.

Le notaire a deux manières d’être : attendre les affaires ou les aller chercher. Le notaire qui attend est le notaire marié, digne ; il est le notaire patient, écouteur, qui discute et tâche d’éclairer ses clients. Il est susceptible de voir tomber son étude. Ce notaire a trois saluts différents : il se tortille en s’inclinant devant le grand seigneur ; il salue en balançant la tête le client riche ; donne un petit coup de tête aux clients dont la fortune se dérange, il ouvre sa porte sans saluer aux prolétaires. Le notaire qui cherche les affaires est le petit notaire à marier, il est encore maigre, il va dans les bals et les fêtes, il court le monde, il y prend des airs penchés, il s’y insinue, il transporte l’étude dans les nouveaux quartiers, et ne