Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/150

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nuance pas ses saluts ; il saluerait la colonne de la place Vendôme. On dit du mal de lui, mais il se venge par ses succès. Le vieux notaire complaisant et bourru est une figure presque disparue. Le notaire, maire de son arrondissement, président de sa chambre, chevalier d’un ordre quelconque, honoré par le notariat entier, et dont le portrait décorait tous les cabinets de notaire, qui respirait enfin l’air parlementaire des conseillers d’avant la révolution, est le phénix de l’espèce, il ne se retrouvera plus.

Le notaire pourrait se consoler des affaires par l’amour conjugal ; mais pour lui le mariage est plus pesant que pour tout autre homme. Il a ce point de ressemblance avec les rois, qu’il se marie pour son état et non pour lui-même. Le beau-père voit également en lui moins l’homme que la charge. Une héritière en bas bleus, la fille née avec les bénéfices d’une moutarde quelconque, ou de quelque bol salutaire, du cirage ou des briquets, il épouse tout, même une femme comme il faut. Si quelque chose est plus original que la plate-bande des notaires, peut-être est-ce celle des notaresses. Aussi les notaresses se jugent-elles sévèrement : elles craignent avec de justes raisons d’être deux ensemble, elles s’évitent et ne se connaissent point entre elles. De quelque boutique qu’elle procède, la femme du notaire veut devenir une grande dame, elle tombe dans le luxe : il y en a qui ont voiture, elles vont alors à l’Opéra-Comique. Quand elles se produisent aux Italiens, elles y font une si grande sensation que toute la haute compagnie se demande : Que peut être cette femme ? Généralement dénuées d’esprit, très-rarement passionnées, se sachant épousées pour leurs écus, sûres d’obtenir une tranquillité précieuse, grâce aux occupations de leurs maris, elles se composent une petite existence égoïste très-enviable ; aussi presque toutes engraissent-elles à ravir un Turc. Il est néanmoins possible de trouver des femmes charmantes parmi les notaresses. A Paris le hasard se surpasse lui-même : les hommes de génie y trouvent à dîner, il n’y a pas trop de gens écrasés le soir, et l’observateur qui rencontre une femme comme il faut, peut apprendre qu’elle est notaresse. Une séparation complète entre la femme du notaire et l’étude a lieu maintenant chez presque tous les notaires de Paris. Il n’est pas une notaresse qui ne se vante de ne pas savoir le nom des clercs et d’ignorer leurs personnes. Autrefois, clercs et notaire, femme et enfants dînaient ensemble patriarcalement. Aujourd’hui ces vieux usages ont péri dans le torrent des idées nouvelles tombées des Alpes Révolutionnaires. Aujourd’hui, le premier clerc seul, dans beaucoup d’études, est logé sous le toit authentique, et vit à sa guise, transaction qui arrange mieux le patron.

Quand un notaire n’a pas la figure immobile et doucement arrondie que vous savez, s’il n’offre pas à la Société la garantie immense de sa médiocrité, s’il n’est pas le rouage d’acier poli qu’il doit être ; s’il est resté dans son cœur quoi que ce soit d’artiste, de capricieux, de passionné, d’aimant, il est perdu : tôt ou tard, il dévie de son rail, il arrive à la faillite et à la chaise de poste belge, le corbillard du notaire. Il emporte alors les regrets de quelques amis, l’argent de ses clients et laisse sa femme libre.


De Balzac.


table de matière p 103
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