Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/122

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toscanes, on peut vraisemblablement conjecturer qu’elles sont très anciennes et qu’elles proviennent d’une époque à laquelle cet art avait atteint un haut point. N’avons-nous pas d’ailleurs des exemples plus probants ? On a trouvé à notre époque, c’est à dire l’an 1554, en creusant les fossés et en élevant les fortifications d’Arezzo, une figure en bronze devant représenter la chimère de Bellerophon[1] ; dans cette figure, on reconnaît que la perfection de cet art remonte aux temps anciens des Toscans, comme on s’en rend compte par la manière étrusque, mais beaucoup plus par les lettres gravées sur une griffe. Comme elles sont peu nombreuses, on suppose, personne actuellement ne connaissant la langue étrusque, qu’elles peuvent représenter aussi bien le nom de l’artiste que celui de cette figure, et peut-être aussi les années, comme on le faisait à cette époque. Actuellement, cette figure, à cause de sa beauté et de son antiquité, a été placée par le seigneur duc Cosme dans la salle des appartements neufs de son palais, où j’ai peint les actes du pape Léon X. Outre cette chimère, on a trouvé dans le même lieu quantité de figurines en bronze du même style, qui sont actuellement chez le seigneur duc. Mais, comme les antiquités des œuvres des Grecs, des Éthiopiens et des Chaldéens sont tout aussi incertaines que celles des nôtres, et peut-être plus, il faut le plus souvent fonder l’appréciation de tels objets sur des conjectures qui ne soient pas si faibles qu’elles n’atteignent leur but. Je crois donc que je ne me suis pas écarté de la vérité et je pense que quiconque voudra examiner ce point avec pondération jugera comme moi, quand j’ai déclaré ci-dessus l’origine de ces arts être la nature elle-même, le modèle initial avoir été l’admirable création du monde, et l’auteur cette divine lumière qui est descendue en nous par une grâce singuhère, et qui non seulement nous a fait supérieurs aux autres animaux, mais semblables, si j’ose dire, à Dieu. Si, à notre époque, on a vu, comme j’espère pouvoir le montrer d’ici peu par beaucoup d’exemples, que de simples enfants, élevés grossièrement dans les campagnes, ont commencé à dessiner par eux-mêmes et grâce à la vivacité de leur esprit, en prenant pour seuls modèles ces belles peintures et sculptures de la nature, combien plus ne peut-on pas et ne doit-on pas penser, avec vraisemblance que les premiers hommes, d’autant plus rapprochés de leur origine et divine génération, par cela même d’autant plus parfaits et de meilleur esprit, ces premiers hommes, dis-je, ayant pour guide la nature, pour maître un

  1. Cette chimère est au Musée National de Florence.