Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/146

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autres travaux, comme on l’a déjà dit), il y a de la main de Cimabue, dans le cloître, à côté de la porte qui donne dans l’église et dans un coin, un petit tableau sur bois peint à tempera [1]. Il représente le Christ en croix, avec quelques anges autour qui pleurent, et qui, saisissant de leurs mains certaines paroles inscrites autour de la tête du Christ, les dirigent vers les oreilles de la Vierge qui est debout et pleure à droite, et de l’autre côté, vers saint Jean l’Évangéliste, se tenant plein d’affliction, à gauche. Les paroles adressées à la Vierge sont : Mulier, ecce filius tuus ; celles adressées à saint Jean sont : Ecce mater tua ; et celles que tient un autre ange placé à part disent : Ex illâ horâ accepit eam discipulus in suam. Cette peinture nous montre que Cimabue commença à donner de l’éclat et à ouvrir la voie à l’invention, renforçant l’effet de l’art par les paroles, pour mieux exprimer sa pensée : ce fut certes une chose originale et nouvelle. Comme Cimabue avait acquis par ces travaux une grande fortune et une immense réputation, il fut adjoint à Arnolfo Lapo[2], excellent architecte d’alors, dans la construction de Santa Maria del Fiore, à Florence. Finalement, après avoir vécu soixante ans, il passa à une autre vie, l’an 1300[3], ayant, en quelque sorte, ressuscité la peinture. Il laissa de nombreux élèves, entre autres Giotto, qui fut un peintre du plus haut mérite. Ce Giotto habita, dans la Via del Cocomero, la propre maison de son maître, après la mort de celui-ci. Cimabue fut inhumé dans l’église de Santa Maria del Fiore. Un des Nini composa, en son honneur, l’épitaphe suivante[4] :

Credidit ut Cimabos picturae castra tenere
Sic tenuit vivens : nunc tenet astra poli,

Je ne négligerai pas de dire que la gloire de Cimabue serait plus grande, si elle n’avait été obscurcie par celle de Giotto, son élève, comme le témoigne Dante dans sa Divine Comédie. Faisant allusion à l’épitaphe de son tombeau, il dit dans le XIe chant du Purgatoire :

Cimabue crut être le premier
Dans la peinture ; aujourd’hui Giotto en a la réputation,
Au point d’obscurcir la gloire du premier.

Dans l’explication de ces vers, un commentateur de Dante, qui écrivait dans le temps que Giotto vivait, et dix ou douze ans après la

  1. Peinture perdue.
  2. Le fait n’est pas prouvé, aucun document de l’époque n’en parlant.
  3. Après 1301. À cette date, il travaille à la mosaïque du Dôme de Pise.
  4. Épitaphe certainement postérieure aux vers de Dante, cités plus loin.