Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/145

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à peindre la partie inférieure des parois, c’est à dire depuis le bas des fenêtres jusqu’au sol et y travailla quelque peu. Mais, ayant été rappelé à Florence par quelques affaires, il ne poursuivit pas autrement ce travail qui fut achevé, longtemps après, par Giotto, comme nous le dirons en son lieu.

De retour à Florence, Cimabue exécuta de sa propre main dans le cloître de San Spirito, où d’autres maîtres ont peint à la grecque tout le côté qui longe l’église, la décoration de trois travées, où il représenta des épisodes de la vie du Christ qui, certes, sont très bien dessinés[1]. À la même époque, il envoya quelques œuvres peintes par lui à Empoli[2], où on les conserve précieusement encore aujourd’hui dans l’église paroissiale de ce château. Il fit ensuite, pour Santa Maria Novella, le tableau de la Vierge, qui est placé en l’air, entre la chapelle des Ruccellai et celle des Bardi da Vernio. Cette figure[3], plus grande que toutes celles qu’on avait peintes jusqu’alors, et les anges qui l’entourent témoignent que, si Cimabue pratiquait encore la manière grecque, il s’approchait néanmoins quelque peu, comme dessin et comme mode du style moderne. Aussi cette œuvre émerveilla-t-elle les gens d’alors, qui n’avaient rien vu de plus beau jusqu’à cette époque. Le peuple porta la Madone en triomphe, au bruit des trompettes, de la maison de Cimabue jusqu’à l’église où elle devait être déposée, et l’artiste en tira un grand renom et de grands honneurs. On raconte[4], et on lit dans les mémoires de quelques vieux peintres que, pendant que Cimabue travaillait à ce tableau dans une maison de campagne, près de la porta San Piero, le roi Charles le Vieux d’Anjou passa par Florence, et les magistrats, entre autres honneurs et prévenances, le conduisirent voir le tableau. Comme personne ne l’avait encore vu, tandis qu’on le montrait au roi, tous les Florentins, hommes et femmes, accoururent en foule et avec grand bruit. En souvenir de la joie que manifestèrent les voisins de la maison, on donna au faubourg le nom de Borgo Allegri[5], qu’il a toujours gardé, après qu’il eût été par la suite renfermé dans les murs de la ville.

Dans le couvent de San Francesco, à Pise, (où il exécuta quelques

  1. Peintures détruites.
  2. Ces œuvres ont disparu.
  3. Tableau en place, dans la chapelle Rucellai, à l’extrémité droite du transept.
  4. Ni Villani, ni Malispini ne mentionnent le fait, tout en parlant du passage du roi à Florence, en 1267.
  5. II portait déjà ce nom en 1301 ; c’est tout ce que l’on sait à ce sujet.