Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/340

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Michele. Filippo, ayant autre chose à faire, abandonna ces deux statues à Donato, qui les conduisit à bonne fin.

L’an 1401, les Florentins, voyant le haut point que la sculpture avait atteint, résolurent de faire exécuter les deux portes de bronze du baptistère de San Giovanni, car depuis la mort d’Andrea Pisano, il n’y avait pas eu de maîtres capables de ce travail. À la suite du concours[1], il fut reconnu que les deux meilleurs projets présentés étaient ceux de Lorenzo Ghiberti et de Brunelleschi, ce dernier, à la vérité, inférieur à l’autre. Le sujet à traiter était le sacrifice d’Abraham et Filippo avait représenté, entre autres particularités, un serviteur d’Abraham se tirant une épine du pied, très bien réussi. Le jour du jugement arrivé, Filippo et Donato ne se déclarèrent entièrement satisfaits que du modèle de Lorenzo et persuadèrent aux Consuls qu’il fallait allouer le travail à celui-ci, dans l’intérêt général. Ils firent ainsi preuve d’une bonté d’amis et d’une vertu exempte d’envie, autant que d’une connaissance exacte de leur propre valeur. Bien que les Consuls priassent Filippo de partager l’entreprise avec Lorenzo, il s’y refusa, aimant mieux être le premier dans son art, que le second ou l’égal de qui que ce fût dans un autre. Il donna son bas-relief à Cosme de Médicis, qui le fit placer dans la vieille sacristie de San Lorenzo, sur le devant de l’autel, où on le voit à présent. Celui de Donato est dans l’Arte del Cambio.

Le jugement prononcé[2], Filippo et Donato résolurent de quitter Florence et d’aller demeurer à Rome pendant quelques années, pour y étudier. Donato la sculpture et Filippo l’architecture. Il avait embrassé définitivement ce dernier parti, voulant être supérieur à Lorenzo et à Donato, autant que l’architecture l’emporte en utilité sur la peinture et sur la sculpture. Ayant vendu un petit domaine qu’il possédait à Settignano, il se mit en route avec son compagnon. En arrivant à Rome, il fut frappé de stupeur en voyant la grandeur des édifices antiques et la perfection de leur construction. Ils se mirent alors à mesurer les corniches, à lever le plan de tous ces monuments et ne regardèrent ni au temps, ni à l’argent, pour ne laisser à Rome et dans ses environs aucun endroit, sans examiner et mensurer tout ce qu’ils pouvaient y rencontrer de beau. Comme Filippo était peu soucieux des besoins de la vie, tout entier à l’étude, il en oubliait le manger et le dormir : il n’avait en tête que l’architecture qui était perdue, je dis la bonne manière antique et non ce style gothique barbare qui seul régnait à cette époque. Il

  1. Voir pour plus de détails la Vie de Lorenzo Ghiberti ; le modèle de Brunellesco est actuellement, avec celui de Ghiberti, au Musée National.
  2. Le 22 novembre 1403.