Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/351

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les contremaîtres et les maçons commencèrent à murmurer, ne se voyant pas commandés comme auparavant ; tous, qui étaient de pauvres gens, ne vivaient que du travail de leurs bras, et craignaient que les deux architectes n’eussent pas le courage de monter plus haut dans leur construction. Ils allongeaient la besogne, en polissant et en repassant sans cesse tout ce qui était déjà maçonné.

Un matin, entre autres, Filippo ne se rendit point sur les chantiers. S’étant enveloppé la tête de linges, il se coucha ; il se mit à crier, et, faisant instamment chauffer des serviettes, il simula un mal d’entrailles. Les contremaîtres l’ayant appris, et attendant toujours des ordres pour continuer le travail, demandèrent à Lorenzo ce qu’ils avaient à faire. Il répondit que les ordres devaient venir de Filippo et qu’il fallait les attendre. L’un d’eux lui dit alors : « Eh ! ne connais-tu pas ses intentions ? — Si, répondit-il, mais je ne ferai rien sans lui. » Il parlait ainsi pour se dérober, car il n’avait pas vu le modèle de Filippo, et, comme il n’avait demandé quoi que ce fût à Filippo, pour ne pas paraître un ignorant, il se tenait sur ses gardes et ne donnait que des réponses évasives, d’autant plus qu’il savait être, dans la direction, contre la volonté de Filippo. Depuis deux jours déjà, Filippo simulait la maladie ; le provéditeur de l’Œuvre étant allé le voir, et les contremaîtres ne cessaient de lui demander ce qu’ils avaient à faire. « Vous avez Lorenzo, leur répondait-il, qu’il agisse un peu ! » C’est tout ce qu’on pouvait tirer de lui. Cette affaire fit grand bruit, et les murmures éclatèrent de tous côtés. Les uns disaient que Filippo gardait le lit parce qu’il ne se sentait pas capable de construire la coupole et parce qu’il se repentait d’être entré dans la lice. Ses amis le défendaient et donnaient pour raison le chagrin et la mortification d’avoir Lorenzo pour compagnon ; que, d’ailleurs, sa maladie était causée par l’excès de fatigue. En attendant, tous les travaux étaient arrêtés ; les tailleurs de pierre et les maçons restaient les bras croisés et murmuraient contre Lorenzo : « Il est bon, disaient-ils, pour toucher son salaire ; mais quant à donner des ordres, c’est autre chose. Comment ferait-il si Filippo venait à manquer ou si sa maladie durait longtemps ? N’est-ce pas sa faute, si Filippo est malade ? »

Les fabriciens, se voyant dans une fausse position, se décidèrent à aller trouver Filippo. Après l’avoir entretenu avec intérêt de son mal, ils lui exposèrent dans quel désordre se trouvait la construction, et dans quel embarras les jetait sa maladie. À quoi Filippo leur répondit avec des paroles enflammées par son mal simulé et par l’amour qu’il portait à l’œuvre : « Lorenzo n’est-il pas là ? Que n’agit-il, lui ? Vous