Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/352

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m’étonnez, vraiment ! — Mais il ne veut rien faire sans toi, lui répondirent-ils. — Je ferais bien sans lui », répliqua Filippo. Cette réponse incisive et à double entente leur suffit ; ils s’en allèrent, et comprirent que sa seule maladie était de vouloir opérer seul. Ils envoyèrent donc ses amis le tirer du lit, et lui annoncer que leur intention était de destituer Lorenzo.

Filippo se rendit donc sur les chantiers ; mais, considérant le grand crédit de Lorenzo et qu’il continuerait à toucher son salaire, sans fatigue aucune, il pensa à un autre moyen de le tourner en ridicule et de faire reconnaître par tous qu’il s’entendait peu au métier. Il parla donc de la manière suivante aux fabriciens, en présence de Lorenzo : « Seigneurs, si la durée de notre existence pouvait être réglée à notre volonté, il est certain que beaucoup de choses, qui restent imparfaites, arriveraient à bonne fin. La maladie dont j’ai été attaqué pouvait m’enlever la vie et arrêter cette entreprise. Si le même accident, ce qu’à Dieu ne plaise ! arrivait encore à l’un de nous deux, à Lorenzo ou à moi, il serait bon que rien n’empêchât l’autre de continuer l’œuvre commencée. J’ai pensé que, de même que Vos Seigneuries ont partagé le salaire entre nous deux, elles pourtaient partager l’ouvrage ; chacun alors montrerait ce qu’il sait et pourrait acquérir honneur et profit auprès de la République. Il y a actuellement deux choses difficiles à mettre en œuvre : la première consiste à jeter les ponts sur lesquels les maçons pourront travailler en sûreté, à l’intérieur et à l’extérieur de la construction, où il est nécessaire d’avoir constamment des hommes, des pierres et de la chaux, et sur lesquels on établira les treuils pour monter les charges et d’autres instruments semblables. L’autre est la chaîne qui doit surmonter les douze brasses déjà construites, qui doit her les huit pans de la coupole et enchaîner la construction, de manière que le poids de tout ce qui la surmontera ne l’écrase pas, et, au contraire, en assure la stabilité, en tenant l’édifice bien serré. Que Lorenzo prenne ce qu’il croira le plus facile des deux. Je m’engage à conduire à bon terme et sans difficulté ce qu’il me laissera. Ainsi, on ne perdra plus de temps. »

Ceci entendu, Lorenzo ne put pas refuser, pour son honneur, de choisir l’un des deux travaux, et, bien que ce fût à contre-cœur, il se résolut de prendre la chaîne, comme la chose la plus facile, espérant s’aider des conseils des maçons et de l’exemple de la voûte de San Giovanni, qui contient une chaîne de pierre dont il pensait pouvoir imiter une partie, sinon l’ordonnance tout entière. Ainsi donc, l’un s’employa aux ponts et l’autre à la chaîne, qu’ils terminèrent tous deux.