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Les ponts de Filippo étaient faits d’une manière si ingénieuse qu’il fut estimé d’une manière totalement contraire à l’idée que quantité de gens avaient conçue de lui par le passé. Les ouvriers, en effet, y travaillaient, montaient les charges et s’y tenaient en toute sécurité, comme s’ils fussent sur la terre ferme, et les modèles de ces ponts ont été conservés à l’Œuvre du Dôme. Pendant ce temps, Lorenzo fit avec beaucoup de difficulté la chaîne d’un des huit pans ; quand elle fut terminée, les fabriciens la montrèrent à Filippo, qui n’en dit mot. Mais il en parla à ses amis et leur dit qu’il fallait une autre liaison, que la chaîne devait être mise dans l’autre sens ; que, pour le poids qu’elle devait supporter, elle était trop faible, parce qu’elle ne serrait pas suffisamment la construction, et que le salaire que l’on donnait à Lorenzo, aussi bien que la chaîne qu’il avait fait construire, étaient autant d’argent perdu.

Cette appréciation fut divulguée, et Filippo fut requis d’expliquer ce qu’il aurait fait, s’il avait eu la chaîne à édifier. Il produisit alors les dessins et les modèles qu’il avait préparés d’avance, ce que voyant, les fabriciens et les autres maîtres reconnurent dans quelle erreur ils étaient tombés en favorisant Lorenzo. Voulant montrer qu’ils savaient réparer leurs torts, ils nommèrent Filippo directeur en chef et à vie de toute la construction[1], avec la clause que rien ne se ferait plus que par sa propre volonté. Ils lui donnèrent cent florins, par acte passé le 13 août 1423[2], devant Lorenzo Paoli, notaire de l’Œuvre, payables chez Gherardo di Messer Filippo Corsini, et ils lui allouèrent un traitement annuel et viager de cent florins.

Filippo ayant donné ses ordres, la construction continua, avec tant de vigilance de sa part et de soumission de la part des ouvriers, qu’on n’aurait pas maçonné une pierre avant qu’il ne l’ait vue. Quant à Lorenzo, bien que vaincu et humilié, il fut encore tant favorisé et aidé par ses amis qu’il conserva son traitement, en prouvant qu’on ne pouvait le congédier avant trois années révolues.

Pour la moindre des choses, Filippo faisait des dessins, des modèles d’échafaudages pour maçonner et des appareils à monter les charges.

  1. Le 13 avril 1443.
  2. La date exacte est le 27 août 1423. Il fut confirmé, avec Ghiberti, chacun dans son poste, le 4 février 1425, et Ghiberti resta adjoint à Brunellesco, avec de fréquentes interruptions, jusqu’en juin 1446. En 1434, Filippo fut mis en prison par ordre des consuls de l’Arte de’ Maestri parce qu’il n’avait pas payé la taxe à laquelle, ainsi qu’à la Matricule, était astreint tout artiste qui voulait exercer sa profession. Mais il fut délivré sur l’intervention des fabriciens, qui firent emprisonner les consuls pour abus de pouvoir. [Décrets du 19 et du 30 avril 1434.]