Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

artistes emploient, et premièrement du porphyre. C’est une pierre rouge finement veinée de blanc, qui a été amenée autrefois en Italie d’Égypte, où l’on croit communément qu’à l’extraction elle est plus tendre qu’après avoir été exposée, hors de la carrière, à la pluie, à la gelée et au soleil. Toutes ces causes la rendent plus dure et plus difficile à travailler. Dans cette matière, on voit quantité d’ouvrages traités au ciseau, ou sciés, ou faits au tour et polis à l’émeri, par exemple, des plaques carrées ou rondes, ou des morceaux plats destinés à faire des carrelages ou encore des statues destinées à des édifices, ainsi qu’un grand nombre de colonnes grandes et petites, des fontaines ornées de masques et sculptées avec grand soin. On en fait aussi des tombeaux, avec des figures en bas-relief et en demi-relief, exécutés à grand travail, comme il y en a au temple de Bacchus hors de Rome, à Sant’Agnèse où est le tombeau présumé de sainte Constance, fille de l’empereur Constantin[1]. On y voit quantité d’enfants avec des pampres et des raisins, qui montrent la difficulté qu’éprouve celui qui travailla cette pierre si dure. C’est ce que l’on voit également sur un vase placé à Saint-Jean-de-Latran près de la porte Sainte, et qui est historié d’un grand nombre de figures, et sur un magnifique sarcophage qui est sur la place de la Rotonde[2], et qui, travaillé avec un art extrême, est par sa forme d’une grâce et d’une beauté merveilleuses, bien différent d’ailleurs des sépultures de ce genre. De nos jours, aucun ouvrage en pierre de cette nature n’a été amené à grande perfection, parce que nos artistes ont perdu le procédé de tremper leurs outils et les autres instruments destinés à ce travail. Il est vrai qu’on scie communément avec de l’émeri des fûts de colonnes et d’autres blocs, pour les diviser soit en surfaces planes soit en d’autres parties d’ornement pour les édifices, en les séparant peu à peu avec une scie en cuivre sans dents tirée à bras par deux hommes ; cette scie enduite continuellement d’émeri en poudre et d’eau coupe finalement la pierre. Bien qu’à diverses époques beaucoup d’hommes industrieux aient tènté de retrouver le procédé qu’employaient les anciens pour travailler le porphyre, tous ces efforts ont été vains. Leon Battista Alberti le premier qui parvint à quelque résultat, mais non pas dans des travaux importants. Entre tous les procédés de trempe qu’il essaya, il n’en trouva pas de meilleur que le sang de bouc ; tout en n’enlevant que

  1. Actuellement au Vatican, musée Pio Clementino, de même que le vase indiqué plus loin.
  2. Il fut placé ultérieurement sur le tombeau de Clément XII, dans la chapelle Corsini à Saint-Jean-de-Latran.