Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/37

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très peu de cette pierre si dure qui lançait continuellement des étincelles sous l’outil, il put néanmoins en faire les dix-huit lettres antiques qui sont sur le fronton de la porte principale de Santa Maria Novella à Florence. Ces lettres qui sont très grandes et de belles proportions sont les suivantes : bernardo oricellario[1]. Comme le tranchant du ciseau ne lui donnait pas les arêtes, et que l’œuvre ne pouvait pas avoir le poli et le fini qui lui était nécessaire, Alberti fit faire un moulin à bras avec un manche en forme de broche qui se maniait très aisément ; on appuyait le manche à la poitrine, et en tenant la courbure avec les mains, on amenait le mouvement de rotation. La pointe armée d’un ciseau ou d’un trépan avec quelques roues à dents de cuivre plus ou moins grandes suivant le besoin, qui, enduites d’émeri mouillé, usaient peu à peu et aplanissaient la pierre, faisant le plat et les arêtes, tandis que la main faisait tourner rapidement le moulin. Malgré l’ingéniosité de cet outil, Léon Battista ne put faire d’autre travail en porphyre. On y perdait tant de temps qu’on y renonça, et qu’on ne fit ni statues, ni vases, ni autres choses fines. D’autres qui ont repris ce procédé pour faire des plaques ou restaurer des colonnes ont opéré de la manière suivante. Ils fabriquent des marteaux gros et lourds, avec des pointes d’acier fortement trempées dans du sang de bouc et ayant la forme de pointes de diamant. Frappant à petits coups sur le porphyre et l’écornant peu à peu le mieux possible, ils le réduisent finalement soit en plaques soit en corps ronds, au gré de l’artiste, mais avec beaucoup de fatigue et une grande dépense de temps. Ils ne peuvent néanmoins en tirer de statues, car nous n’en avons pas le procédé, mais ils le polissent à l’émeri et au cuir, de manière à lui donner un fini merveilleux. Bien que chaque jour l’esprit humain se perfectionne et s’affine à force de recherches, néanmoins les modernes, qui ont essayé en divers temps de nouveaux procédés pour tailler le porphyre, qui ont inventé des trempes nouvelles et trouvé des aciers très purs, se sont efforcés en vain, jusqu’il y a peu d’années. En 1553, le seigneur Ascanio Colonna ayant donné au pape Jules III un admirable vase antique de porphyre, large de sept brasses, le pontife voulut en orner sa vigna, et ordonna de le faire restaurer, car il lui manquait quelques morceaux. On mit donc la main à l’œuvre, en essayant divers procédés, sur le conseil de Michel-Ange Buonarroti et d’autres maîtres excellents, mais, après beaucoup

  1. Bernardo Ruccellai, dans les jardins duquel se réunit la dernière Académie platonicienne.