Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/38

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de temps, l’entreprise fut jugée impossible, d’autant plus qu’on ne pouvait en aucune manière rétablir quelques arêtes vives, comme le besoin s’en faisait sentir[1]. Michel-Ange, qui était pourtant habitué à travailler des pierres dures, s’y essaya comme les autres, sans meilleur résultat. Enfin, comme rien ne manquait, à notre époque, à la perfection de nos arts, que la manière de travailler parfaitement le porphyre, ce désideratum a été à la fin rempli, et le procédé retrouvé de la manière suivante. L’an 1555, le duc Cosme, ayant amené des jardins de son palais Pitti une eau admirable jusqu’à la cour de son principal palais de Florence, voulut y faire élever une fontaine d’une extraordinaire beauté, et comme on avait trouvé quelques morceaux de porphyre d’une belle grandeur, il ordonna d’en faire une vasque avec son pied pour la dite fontaine. Afin de rendre au maître-ouvrier le travail plus facile, il composa avec je ne sais quelles herbes un liquide d’une vertu telle qu’en y plongeant les fers au rouge blanc, ils acquéraient une trempe extrêmement dure. C’est avec ce secret, et sur mes dessins, que Francesco del Tadda[2], tailleur de pierres de Fiesole, construisit la vasque de cette fontaine qui a deux brasses et demie de diamètre, ainsi que son pied, comme on les voit actuellement en place dans ce palais. Le Tadda, trouvant que le procédé du duc était merveilleux, se mit à essayer quelques travaux de taille par ce moyen, et il réussit si bien qu’en peu de temps il a fait trois ovales en demi-relief renfermant les portraits, grands comme nature, du duc Cosme, de la duchesse Éléonore, et une tête de Jésus-Christ. Ces têtes sont si parfaites que les cheveux et la barbe, choses très difficiles à représenter, sont exécutés de telle sorte que l’antiquité n’offre rien de mieux. Quand le duc alla à Rome, il parla de ce travail à Michel-Ange qui ne put croire que cela fût. Aussi le duc me fit envoyer la tête de Jésus-Christ à Rome, et Michel-Ange l’ayant beaucoup admirée lui donna de grands éloges, et se réjouit de voir de nos jours la sculpture enrichie de ce procédé précieux, dont la recherche était restée vaine jusqu’alors. Récemment, le Tadda a terminé la tête de Cosme l’Ancien dans un ovale, comme les portraits indiqués ci-dessus, et il continue à faire des ouvrages semblables. En ce qui concerne le porphyre, il me reste à dire, comme les carrières de cette pierre ne sont plus connues, que nous sommes forcés de nous servir de fragments antiques,

  1. Ce vase est actuellement au Vatican, musée Pio Clementino.
  2. Francesco Ferrucci dit le Tadda. Les œuvres indiquées ci-dessous n’ont pas été retrouvées.