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la mer et ensuite dans une barque par mer vers Lucques[1]. Dans cette œuvre, il y a plusieurs portraits, particulièrement celui de Paolo Guinigi qu’il tira d’une œuvre en terre cuite faite par Jacopo dalla Fonte ou Cuercia, quand celui-ci fit le tombeau de la femme de Guinigi. À San Marco de Florence, dans la chapelle des tisseurs d’étoffes, il fit un tableau représentant le Christ en croix, entre saint Jean évangéliste, saint Marc, saint Antonin, archevêque de Florence et d’autres figures[2].

Appelé ensuite avec d’autres peintres aux travaux que Sixte IV faisait faire dans la chapelle du palais pontifical[3], il se joignit à Sandro Botticello, à Domenico Ghirlandaio, à l’abbé de San Clemente, à Luca de Cortona et à Pietro Perugino ; il y peignit trois histoires[4], à savoir : Pharaon englouti dans la mer Rouge, la Prédication du Christ sur le rivage de la mer de Tibériade et la dernière Cène des Apôtres avec le Sauveur. Dans le dernier sujet, il mit en raccourci une table et un plafond octogone qui prouvent son habileté dans l’art de la perspective.

On raconte que le pape avait ordonné un prix à décerner à celui qui se serait le mieux comporté dans ces peintures d’après ce qu’il apprécierait. Les peintures étant donc terminées, le pape alla les voir, et chaque peintre s’était ingénié à faire en sorte d’obtenir l’honneur et le prix. Comme Cosimo se sentait faible en invention et en dessin, il avait cherché à cacher son défaut, en couvrant son œuvre de teintes d’outremer très fin, d’autres couleurs vives, et il l’avait rendu éclatante avec beaucoup d’or, en sorte que tout était en pleine lumière, arbres, plantes, draperies, et même les nuages du ciel, s’imaginant que le pape peu connaisseur lui donnerait pour cela le prix de la victoire. Vint le jour où toutes les peintures furent découvertes, la sienne comme les autres. En les voyant, les autres artistes avec de grands éclats de rire et des moqueries le tournèrent en dérision au lieu d’avoir compassion de lui. Mais ils restèrent joués, parce que les couleurs éclatantes firent ce que Cosimo avait prévu : elles éblouirent les yeux du pape, qui s’y entendait peu, mais qui aimait les arts, au point qu’il jugea que Cosimo avait beaucoup mieux opéré que les autres. Il lui fit donner le prix et commanda aux autres de couvrir leurs peintures des meilleurs bleus qu’ils trouveraient, de les frapper d’or, de manière à les

  1. Existe encore ; il s’agit du célèbre Volto Santo, conservé à Lucques.
  2. Peinture disparue : c’est peut-être le tableau de la Galerie nationale à Londres.
  3. La chapelle Sixtine.
  4. Qui existent encore.