Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/132

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soldats, ainsi que le profond sommeil des gardiens ! La splendeur éblouissante de l’ange est si vive qu’elle éclaire, au milieu des ténèbres de la nuit, jusqu’aux moindres détails de la prison, et fait briller les armes, qui sont polies au point qu’elles paraissent vraies plutôt que peintes. Il n’y a pas moins d’art et de talent dans la figure de l’Apôtre délivré de ses chaînes et sortant de la prison, accompagné de l’ange ; le visage de saint Pierre montre qu’il se croit le jouet d’un songe. On remarque encore la terreur et l’épouvante des autres gardiens en armes, qui entendent du dehors le bruit de la porte de fer ; une sentinelle, la torche à la main, réveille les autres, et tandis qu’elle les éclaire, les rayons de la torche se reflètent sur toutes les armes ; dans les endroits où ils ne pénètrent pas, ils sont remplacés par un rayon de lune. La Délivrance de saint Pierre étant placée au-dessus d’une fenêtre est moins bien éclairée que les autres peintures : le jour donne dans le visage du spectateur et lutte si bien avec les effets de lumière, représentés par le peintre, que l’on croit voir la fumée de la torche, la splendeur de l’ange et les profondes ténèbres de la nuit. Tout cela est si naturel et si vrai, telle est aussi la difficulté de l’entreprise réalisée par Raphaël, que l’on ne croirait jamais être en présence d’une peinture. Les ombres et lueurs, la fumée et la chaleur des flambeaux se reflètent si bien sur les armes, au milieu de la nuit qui les enveloppe, que l’on est en droit de regarder Raphaël comme le maître des autres peintres ; en ce qui concerne l’imitation de la nuit, la peinture n’a jamais produit d’œuvre plus divine, ni plus universellement appréciée.

Dans la même salle, Raphaël représenta encore, sur une des parois restées nues, le Culte divin, l’Arche des Hébreux avec le candélabre, et le pape Jules II chassant l’Avarice de l’Eglise ; la beauté et la bonté de cette peinture ne le cèdent en rien à l’effet de nuit dont nous venons de parler. On y voit les portraits de quelques estafiers de l’époque, qui portent sur une litière le pape Jules, dont l’image est vivante[1]. Tandis que des gens du peuple et des femmes font place pour lui livrer passage, on voit la furie d’un cavalier en armes, qui, accompagné de deux jeunes hommes à pied, heurte avec violence et frappe le superbe Héliodore, qui, par ordre d’Antiochus, veut dépouiller le temple de tous les dépôts faits par les veuves et les orphelins. Déjà l’on emporte des coffres et des trésors, mais la vue du châtiment d’Héliodore, abattu et durement frappé par les trois susdits, qui, étant une vision, ne sont vus et entendus que de lui, frappe les ravisseurs

  1. Entre autres Marc Antoine et Jules Romain. Peinture faite en 1512.