Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un poisson, dont la figure a été tirée de la colonne Trajane, sur laquelle on voit des hommes armés de la sorte : on croit que ce sont des armures faites en peau de crocodile. Le Monte Mario est en feu et rappelle qu’au départ des soldats les cantonnements restent toujours la proie des flammes. Raphaël peignit encore d’après nature les massiers qui accompagnent le pape, les cardinaux, les courtisans et les estafiers qui tiennent la haquenée sur laquelle est assis Léon X, en habits pontificaux. Tous ces portraits sont vivants, et une pareille œuvre est aussi agréable à l’œil qu’utile dans notre art, en particulier pour ceux qui sont privés de pareilles choses.

Dans le même temps, il fit, à Naples, un tableau qui fut placé à San Domenico, dans la chapelle où est le crucifix qui parla à saint Thomas d’Aquin. Il représente la Vierge, saint Jérôme vêtu en cardinal et l’ange Raphaël qui accompagne Tobie[1]. Pour Leonello da Carpi, seigneur de Meldola, il peignit une Vierge, sur le visage de laquelle on remarque une dignité et une modestie dans l’attitude inimaginables[2]. Elle est représentée adorant, les mains jointes, son Fils qui est assis sur ses genoux et caresse un petit saint Jean, en adoration devant lui, avec sainte Elisabeth et saint Joseph. Lorenzo Pucci, cardinal de Santi Quattro, ayant été nommé grand pénitencier, obtint de Raphaël qu’il fît un tableau pour la chapelle de San Giovanni in Monte, à Bologne, dans laquelle est déposé le corps de la bienheureuse Elena dall’Olio ; cette œuvre montre ce que pouvait produire la grâce et l’art par les mains délicates de Raphaël. On y voit sainte Cécile[3], éblouie par un chœur d’anges dans les cieux, s’arrêter à les écouter, absorbée par l’harmonie ; ses traits offrent cette contraction que l’on remarque chez les gens en extase. À terre sont épars des instruments de musique qui paraissent non en peinture, mais réels et véritables ; il en est de même des voiles et des vêtements d’or et de soie de la sainte, recouvrant un cilice merveilleux. Saint Paul, le bras droit reposant sur une épée nue, et la tête appuyée sur la main, reflète autant la profondeur de sa science que sa fierté transformée en gravité ; il a les pieds nus et il est vêtu d’un simple manteau rouge sous lequel on aperçoit une tunique verte, à la manière apostolique. On voit ensuite sainte Marie-Madeleine tenant à la main un vase de pierre fine, dans une pose gracieuse ; elle tourne la tête et semble toute joyeuse de sa

  1. Madone du Poisson, au Musée du Prado, à Madrid.
  2. Actuellement au Musée de Naples.
  3. Actuellement à la Pinacothèque de Bologne.