Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/138

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soulager d’un pareil fardeau. Il ne tarda pas à livrer au public la chambre de la Tour Borgia, dans laquelle il avait peint un sujet sur chaque paroi : deux au-dessus des fenêtres et deux sur les grandes parois. L’un représente l’incendie du Borgo Vecchio, à Rome, ne pouvant être éteint, mais arrêté par le pape saint Léon IV, qui paraît à la loge pontificale du Vatican[1]; elle retrace diverses scènes de désolation. D’un côté, des femmes, apportant de l’eau dans des vases qu’elles tiennent dans leurs mains ou sur leurs têtes, ont leurs cheveux et leurs vêtements mis en grand désordre par un vent furieux ; d’autres personnages, qui cherchent à jeter de l’eau sur les flammes, sont aveuglés par la fumée qui les empêche de se reconnaître eux-mêmes. D’un autre côté, tel que Virgile décrit Enée portant Anchise, un vieillard infirme, mis hors de lui par sa maladie et la vue du feu, est enlevé par un jeune homme dans la figure duquel on reconnaît le courage, l’énergie et l’effort qu’il fait de tous ses membres pour résister au poids de ce corps qui s’abandonne sur lui ; une vieille femme, pieds nus et à moitié vêtue, le suit, fuyant le feu, avec un jeune enfant entièrement nu. Au sommet d’un mur en ruine une femme toute nue et les cheveux en désordre va jeter son enfant emmailloté dans les bras d’un homme échappé aux flammes et qui se dresse dans la rue sur la pointe des pieds, les bras étendus pour le recevoir. Le désir de sauver son fils et la souffrance causée par la chaleur ardente qui l’entoure se peignent énergiquement dans les traits de cette femme ; sur le visage du père, on voit la lutte du dévouement pour l’enfant avec la crainte de la mort. On ne saurait assez louer l’idée ingénieuse qu’a eue Raphaël de représenter une mère qui, les pieds nus, à peine vêtue, sans ceinture, les cheveux flottants et tenant une partie de ses habillements à la main, pousse ses fils devant elle en les frappant, pour les forcer à courir loin des flammes et des ruines : enfin quelques femmes agenouillées se tournent vers le saint pontife et le supplient de mettre fin à un si terrible incendie.

L’autre peinture[2] se rapporte également à Léon IV et représente le port d’Ostie occupé par une armée de Sarrazins venus pour s’en emparer. On voit les chrétiens se battre avec eux sur mer ; une quantité de prisonniers sont déjà venus au port et sortent habillés en galériens de certaines barques, sous l’escorte de soldats à la mine martiale qui les tirent par la barbe et les conduisent devant saint Léon, peint sous les traits de Léon X.

  1. C’est la dernière fresque entièrement peinte de sa main.
  2. Faite par les élèves de Raphaël.