Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/210

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qu’il restât quelque chose de lui dans la ville ; la confrérie s’en fâcha, mais l’évêque arrangea la chose. Le tableau terminé lui acquit de la réputation et fut mis à Santa Croce ; c’est une déposition de Croix, exécutée avec beaucoup de soin et remarquable par je ne sais quoi de ténébreux dans les couleurs devant rendre l’éclipsé qui arriva au moment de la mort du Christ. Il alla ensuite exécuter de nombreuses peintures à Arezzo, et pendant ces travaux, il exhuma, dans l’évêché d’Arezzo, où il se trouvait, des cadavres d’après lesquels il fit de magnifiques études d’anatomie. Il approfondissait sans cesse les connaissances de son art, et peu de jours se passaient sans qu’il dessinât le nu d’après nature.

Il avait toujours désiré finir ses jours en France, pour s’arracher, comme il le disait, à la misère et à la pauvreté, dans laquelle se traînent les artistes en Toscane et, en général, dans le pays où ils sont nés. Il résolut donc de partir. Pour avoir plus de facilité en toute chose et paraître universel, il se mit à apprendre la langue latine, lorsqu’un événement vint tout à coup précipiter son départ. Le jeudi-saint, pendant l’office des ténèbres, un jeune enfant d’Arezzo, son élève, se trouvait dans l’église, et, comme il secouait les flammèches d’une torche de résine allumée, il fut réprimandé et quelque peu frappé par des prêtres. Le Rosso, qui était assis près de cet enfant, s’en étant aperçu, se leva furieux et en vint aux mains avec l’un des prêtres. Alors grande rumeur, personne ne sachant de quoi il s’agissait, des épées furent tirées contre le pauvre Rosso, qui prit la fuite et se retira adroitement de la bagarre sans avoir été blessé ; mais s’estimant offensé, sans s’embarrasser de travaux commencés à Arezzo, pour lesquels il avait reçu plus de 150 écus d’or, il partit pendant la nuit et se rendit, par la route de Pesaro, à Venise. Il fut retenu dans cette ville par Messer Pietro Aretino, pour lequel il dessina Mars endormi à côté de Vénus, et dépouillé de ses armes par les Grâces et l’Amour ; ce sujet fut gravé ensuite[1].

De Venise, le Rosso passa en France[2], où il fut reçu avec force caresses par les gens de la nation florentine. Ayant peint plusieurs tableaux, il les donna au roi François 1er, à qui ils plurent beaucoup, et qui les fit placer dans la galerie de Fontainebleau. Mais le roi apprécia surtout la tournure et la manière du Rosso, qui était grand de sa personne, roux de barbe et de cheveux, comme son nom

  1. Ce tableau n’existe plus, mais le dessin est au Louvre.
  2. Vers 1530. Il apparaît pour la première fois dans les comptes royaux en 1532, avec le titre de peintre ordinaire du roi et une provision mensuelle de 14 livres tournois.