Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/233

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que celles d’Albert Dürer ; leur arrangement est si clair, qu’il semble que la scène que Lucas a voulu représenter n’a point dû se passer autrement. En outre, les estampes de Lucas se distinguent par une ingénieuse dégradation de tailles ; les objets qui s’éloignent progressivement sont exprimés à l’aide de touches légères habilement calculées, qui, peu à peu, échappent à l’œil, tout comme dans la nature les lointains se perdent de vue insensiblement. On n’obtiendrait rien de plus harmonieux avec les couleurs : aussi ces considérations ont-elles ouvert les yeux à beaucoup de peintres. Il fit encore beaucoup de petites estampes représentant des Madones, les douze Apôtres avec le Christ, des Saints et des Saintes, des armures, des casques et différentes fantaisies, entre autres un paysan qui, se faisant arracher une dent, éprouve une telle douleur qu’il ne s’aperçoit pas qu’une femme lui dérobe sa bourse. Les œuvres de Durer et de Lucas ont été causes qu’après eux quantité de Flamands et d’Allemands ont gravé des planches semblables, très belles.

Mais n’oublions pas Marc Antonio. Arrivé à Rome, il grava sur cuivre une très belle planche, d’après Raphaël d’Urbin, et représentant Lucrèce qui se donne la mort, exécutée avec tant de soin et dans une si belle manière que Raphaël, l’ayant immédiatement reçue de plusieurs de ses amis, se décida à faire graver les dessins de quelques-unes de ses compositions. À peu de temps de là, Marc Antonio grava donc un dessin du Jugement de Paris, où Raphaël s’était plu à introduire le char du soleil, les nymphes des bois, celles des fontaines et celles des fleuves, ainsi que quantité de magnifiques accessoires ; la gravure de Marc Antonio excita à Rome une profonde admiration. Il grava ensuite le Massacre des Innocents, où l’on voit des nus admirables, le Neptune entouré de petits sujets de l’histoire d’Énée, un très bel enlèvement d’Hélène, dessiné par Raphaël, et le Martyre de sainte Félicité, plongée dans l’huile bouillante, tandis que ses fils sont décapités. Ces planches acquirent tant de réputation à Marc Antonio qu’elles étaient plus estimées que celles des Flamands, à cause de leur beau dessin et que les marchands en tiraient de grands profits.

Depuis plusieurs années, Raphaël avait pour broyeur de couleurs un apprenti nommé Baviera et, comme il savait quelque chose, Raphaël le chargea d’imprimer les gravures de Marc Antonio et d’en faire la vente en gros et au détail. S’étant donc réunis, ceux-ci imprimèrent un grand nombre de planches, qui leur valurent un gain considérable. Toutes ces gravures furent signées par Marc Antonio de la manière suivante : pour indiquer le nom de Raphaël Sanzio d’Urbin R S, pour