Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/305

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lui donna à faire, en bronze, une statue haute de cinq brasses environ, représentant Persée nu foulant aux pieds le corps également dépouillé de Méduse, après lui avoir coupé la tête ; elle devait être placée sous une des voûtes de la Loggia de’ Lanzi. Pendant que Benvenuto travaillait à cette statue, il faisait encore autre chose pour le duc. Mais, comme dit le proverbe, le potier tracasse le potier, et le sculpteur jalouse le sculpteur ; Baccio ne put voir tranquillement les faveurs accordées à Benvenuto. Il ne concevait pas que d’orfèvre celui-ci fût devenu avec succès sculpteur, et osât entreprendre des statues colossales, quand jusqu’alors il n’avait exécuté que des médailles et des figurines. Aussi ne tarda-t-il pas à se déclarer son ennemi ; mais il trouva quelqu’un en état de lui répondre. Benvenuto n’était pas moins fier que lui, et voulait maintenir la partie égale ; souvent ils se disaient des paroles outrageantes, en présence du duc, qui se divertissait de leurs propos, et leur laissait pleine liberté de s’attaquer franchement devant lui, pourvu qu’en se quittant il ne fût plus question de rien. Un jour qu’ils se mordaient ainsi et se jetaient à la tête leurs faits et gestes, Benvenuto, regardant de travers Baccio et le menaçant, lui dit : « Pourvois-toi d’un autre monde, Baccio, car je veux t’enlever de celui-ci. » Baccio lui répondit : « Eh bien ! avertis-moi un jour d’avance, afin que je puisse me confesser, faire mon testament et ne pas mourir comme une bête que tu es. » Le duc, qui avait pris plaisir pendant de longs mois, à leurs querelles, leur imposa silence, dans la crainte de les voir mal finir, et, pour ne pas exciter de plus belle leur jalousie, les chargea tous deux d’exécuter son buste en bronze.

Vers l’an 1554, j’abandonnai le service du pape Paul III, pour entrer à celui du duc de Médicis, et l’année suivante, je fis venir de Rome le sculpteur Bartolommeo Ammanati, pour travailler avec moi à la salle d’audience, à la fontaine et aux statues qui devaient orner le palais. Baccio, se voyant délaissé pour d’autres artistes, en conçut tant de chagrin, et devint d’une humeur si farouche, que personne n’osait vivre avec lui.

Depuis quelques années, on avait tiré de Carrare un énorme bloc de marbre, haut de dix brasses et demie et large de cinq, pour lequel Baccio avait donné cinquante écus d’arrhes. Après qu’il eût conclu le marché, il importuna le duc, au point que, grâce à la duchesse, il obtint d’en tirer un colosse qu’on devait mettre sur la place, au coin où est le lion ; on devait y faire une grande fontaine, au milieu de laquelle serait un Neptune sur un char traîné par des chevaux marins, et que Ion tirerait de ce bloc de marbre. Baccio présenta plusieurs