Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/337

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figures d’une beauté extraordinaire, à savoir, le Temps, l’Union, la Patience et la Foi. Comme il manquait encore un tableau pour compléter la décoration de la Salle du Conseil, le Tintoretto fit si bien que, grâce à ses amis, il lui fut donné à faire. Stimulé par le désir d’égaler, sinon de vaincre et de surpasser ses rivaux, il produisit un ouvrage merveilleux, qui mérite d’être mis au nombre de ses meilleurs morceaux et qui est grandement apprécié, même par ceux qui ne sont pas du métier. Il choisit pour sujet l’Excommunication de Frédéric Barberousse par le pape Alexandre III et le refus d’obéissance des Impériaux au pontife. Entre autres choses originales qui sont dans cette peinture merveilleuse, on voit le pape et les cardinaux jetant d’un lieu élevé les torches et les cierges, comme on procède dans une excommunication, et la mêlée de personnages nus qui se disputent pour les ramasser. Les détails d’architecture et les portraits que le Tintoretto introduisit dans le tableau sont aussi d’une rare perfection, et lui acquirent un grand renom auprès de tous. Aussi lui commanda-t-on les deux tableaux à l’huile, longs de douze brasses, qui occupent toute la largeur de la grande chapelle de San Rocco[1], et qui se trouvent au-dessous des fresques du Pordenone. L’un de ces tableaux représente, en perspective, une salle d’hôpital pleine de lits et de malades, dans des attitudes variées, qui sont soignés par saint Roch ; parmi eux, il y a quelques nus bien entendus et un cadavre en raccourci d’une extrême beauté. L’autre est également un épisode de la vie de saint Roch ; on y voit quantité de gracieuses figures et, en somme, ce tableau doit être considéré comme une des meilleures œuvres qu’ait faites ce peintre. Dans un tableau de même grandeur et aussi beau, qui est placé au milieu de l’église, Jésus-Christ guérit un malade dans la piscine probatique.

À Santa Maria dell’Orto, le Tintoretto a couvert les deux parois latérales de la grande chapelle de deux toiles peintes à l’huile[2], de vingt-deux brasses de haut, s’étendant de la voûte jusqu’au dossier des stalles. Celle de droite représente Moïse descendant du Mont Sinaï avec les tables de la loi, et trouvant les Hébreux en adoration devant le Veau d’or. L’autre toile renferme un Jugement dernier, d’une invention originale, vraiment terrible par la diversité et la quantité de figures de tout âge et de tout sexe qui y sont entassées ; on y voit également la barque de Caron, mais d’une manière si neuve que c’est une chose étrange à regarder. Si cette capricieuse invention avait été exécutée

  1. Ces peintures sont encore en place, avec d’autres de Tintoretto.
  2. Qui sont encore en place.